Force ouvrière (FO) n’en finit pas de solder l’héritage légué par Pascal Pavageau, son ancien et éphémère secrétaire général. Dans une note adressée, mardi 30 octobre, à son comité confédéral national (CCN) – le « Parlement » de FO –, la direction de la centrale a fait part de sa décision de déposer une plainte « pour constitution de fichiers ». Une démarche liée au listing sauvage recensant quelque 127 responsables de l’organisation. La révélation par Le Canard enchaîné, le 10 octobre, de cet « annuaire » clandestin avait provoqué une violente crise au sommet du syndicat et contraint M. Pavageau à la démission, une semaine après.

Le fait de saisir la justice « a vocation à protéger la confédération », décrypte une source en interne. « Nous ne voulons pas que notre organisation puisse être considérée comme ayant été à l’initiative de la création de ce fichier », poursuit-elle. Sous-entendu : il s’agit de dérives individuelles, que FO réprouve. « Nous nous devions également d’interpeller les tribunaux pour les militants dont le nom apparaît dans ce document », ajoute cette même source.

Au Canard enchaîné, M. Pavageau avait dit que le fichier constituait « une belle connerie », commise par deux de ses collaboratrices. Ce trombinoscope, confectionné à la fin 2016, présente en quelques lignes les dirigeants de fédérations professionnelles et d’unions départementales de FO, avec des commentaires parfois injurieux et des indications sur leur allégeance politique, leur état de santé ou leur orientation sexuelle.

Exercice compliqué

La plainte annoncée le 30 octobre s’ajoute à celle déposée par la confédération, peu après l’article du Canard enchaîné, quand M. Pavageau était encore aux commandes. Cette précédente action en justice obéissait à une autre préoccupation : « la diffusion de (…) documents (…) confidentiels » – et non pas le fait d’avoir consigné des données personnelles dans des conditions sujettes à caution. Auparavant, deux autres plaintes, pour vol cette fois-ci, avaient été déposées par FO et par la responsable des ressources humaines du syndicat. Selon les informations du Monde, des effets personnels, dont une clé USB, avaient été dérobés dans le bureau de cette cadre, le 1er octobre. Il est très possible que cet incident soit à l’origine de la divulgation du fichier controversé.

Parallèlement, le processus pour trouver un successeur à M. Pavageau se poursuit. Un exercice très compliqué, compte tenu de la diversité des sensibilités qui coexistent dans la confédération, entre les réformistes, les trotskistes du Parti ouvrier indépendant (POI et POID), ainsi que les anarchistes.

A ce stade, un homme est officiellement en lice : il s’agit de Patrice Clos, le « patron » de la fédération des transports. Au sein de la centrale, plusieurs le décrivent comme étant l’un de ceux ayant défendu M. Pavageau « jusqu’à la dernière minute », tout en fustigeant le fichier. M. Clos serait soutenu par le camp des anarchistes – ce qui permettrait à ces derniers de « pouvoir réaffirmer leur poids et leur existence dans l’organisation », affirme le dirigeant d’une fédération. « Je ne suis pas anarchiste, rétorque M. Clos. Je n’ai qu’une seule carte, celle de FO, depuis l’âge de 22 ans. » Il s’inscrit dans la continuité du congrès confédéral d’avril, au cours duquel M. Pavageau avait accédé au poste de secrétaire général. Sa volonté est de faire respecter les résolutions adoptées par « 96 % » des congressistes.

Mais la candidature de M. Clos a peu de chances de prospérer, d’après d’autres hauts gradés de FO. « Il est parti en se plaçant en dehors des consultations conduites en interne pour parvenir à un consensus », estime l’un d’eux. Les chefs de file des réformistes et des trotskistes, Frédéric Homez et Hubert Raguin, ont récemment noué un pacte – provisoire – et réfléchissent de concert pour identifier « l’oiseau rare » susceptible de convenir à toutes les chapelles.

Plusieurs noms circulent : celui de Christian Grolier, le responsable de FO-fonction publique, qui bénéficierait de l’appui de trotskistes ; ou encore celui d’Yves Veyrier, un ancien qui connaît très bien « la boutique ». « Nous préférerions qu’il y ait un seul candidat », souffle le leader d’une fédération. Réponse mardi 6 novembre, lorsque les instances du syndicat dévoileront le visage du ou des prétendants.