Sur l’ensemble de la Nouvelle-Calédonie, le taux de participation des électeurs au référendum s’établissait à 41,81 % à la mi-journée du 4 novembre. / MATHURIN DEREL / AP

Tout au long des 45 kilomètres de la route provinciale 4 (RP4), qui traverse le sud de la Nouvelle-Calédonie d’Ouest en Est, de Boulouparis à Thio, pas un panneau de signalisation, pas un pont enjambant un creek (cours d’eau) qui ne soit pavoisé aux couleurs de Kanaky.

Le Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS) a fait campagne pour l’indépendance en demandant à ses partisans d’afficher leurs couleurs. En ce jour de scrutin, dimanche 4 novembre, chacun les arbore fièrement : drapeaux bleu, vert, rouge, jaune aux fenêtres, sur les véhicules, les robes et les tee-shirts, et même les nattes dans les cheveux.

Dès l’ouverture, à 8 heures, des quatre bureaux de vote de la commune de Thio (2 104 inscrits), des queues sont formées. L’affluence est forte : à 11 heures, la participation a déjà atteint les 50 %.

Pour Marie-Françoise et Andy, qui sont venus de Nouméa, distante de 120 kilomètres, pour voter, « c’est un jour historique ». Andy travaillait à la mine de nickel ; Thio est aussi un site minier de la Société Le Nickel (SLN), qui possède encore une exploitation sur le « plateau », la montagne qui surplombe la vallée de Thio, et une autre au camp des Sapins. Les montagnes alentour portent les cicatrices de l’exploitation du minerai : de larges zébrures qui descendent à flanc de colline. Depuis les événements des années 1980, la SLN a concédé aux Kanak une exploitation, la Somikat, communément appelée la « mine des coutumiers ».

Des événements encore gravés dans les mémoires

La mine, à Thio, a employé jusqu’à près de deux mille personnes ; avec l’effondrement du cours du nickel, dans la dernière décennie, elle n’en emploie plus que huit cents. De nombreux Mélanésiens, comme Andy et sa compagne, ont dû quitter la commune pour essayer de trouver du travail à Nouméa. Et le village s’est vidé : il ne compte plus que trois mille habitants après en avoir compté plus de cinq mille. « J’espère que notre génération va pouvoir avancer vers l’avenir, que ça va pouvoir changer pour nous, pouvoir retrouver de l’emploi », souhaite Marie-Christine.

Peu de doute, ici, quant au bulletin que l’immense majorité des électeurs, à plus de 90 % mélanésiens, auront déposé dans l’urne. Sur les panneaux d’affichage, à l’entrée de la mairie, les affiches du « non » n’ont pas résisté. Le « oui » à l’indépendance l’emportera massivement dans ce fief indépendantiste, théâtre dans les années 1980, des violents affrontements, parfois meurtriers, entre communautés kanak – peuple autochtone du territoire – et caldoche – d’origine européenne –, et avec les forces de l’ordre.

Symbole de cette révolte armée, l’urne brisée à la hache, le 18 novembre 1984, par Eloi Machoro, qui sera tué deux mois plus tard par les tireurs d’élite du GIGN – l’unité d’intervention de la gendarmerie nationale –, ainsi que Marcel Nonnaro, un autre militant indépendantiste.

Ces événements sont encore gravés dans les mémoires, y compris celles des jeunes. Daïna, jeune pompier volontaire de 26 ans, revêtue d’une robe missionnaire aux couleurs de Kanaky, ne fait pas mystère de son vote. « C’est important pour nos vieux, qui se sont battus pour l’indépendance et la liberté. On leur doit ça. Mais que le oui l’emporte ou pas, on ne veut surtout pas revivre les années 1980 », s’empresse-t-elle de préciser.

L’espoir qu’une nouvelle page se tourne

Malgré la large victoire du oui attendue ici, les partisans de l’indépendance sont bien conscients que ce n’est pas le bout du chemin. « Mais c’est déjà énorme, soutient Rosemay, Kanak de 46 ans sans emploi. Nos parents, nos grands-parents ont lutté pour arriver à l’indépendance, ont fait des sacrifices. Aujourd’hui, ce n’est peut-être pas l’aboutissement mais c’est un début, un pas important. C’est déjà une grande fierté d’avoir pu exprimer notre volonté. Et de le faire dans le calme. Parce que nous, ici, on n’est plus extrémistes comme avant, on a su aller vers les autres. »

Les anciens, ceux qui ont pris part aux événements des années 1980, veulent aussi espérer qu’une nouvelle page se tourne. « Nous, les Kanak, on a toujours tendu la main. C’est ancré dans notre culture et notre éducation, assure Ralph, le cheveu et la barbe blanchis par les années. Ce scrutin, c’est l’aboutissement d’un long chemin, trop long. Trente ans, c’est trop long. C’est un jour important, quelle que soit l’issue. Mais il faut que les Européens admettent que nous sommes chez nous, que tôt ou tard il y aura l’indépendance. »

« Ici, on n’est pas en France, on est en Calédonie »

Jean-Louis, 70 ans, un ancien rouleur (qui transportait le minerai en camion), est né en Nouvelle-Calédonie mais fait partie de ces vieilles familles caldoches arrivées sur le territoire depuis des générations. Il se vit comme un « métis » et a déposé un bulletin pour le oui.

« Ce qu’il y a eu en 1984, c’est à cause des abus, assure-t-il dans un accent à couper au couteau. Mais si ça continue comme ça, il y aura la même chose. Les gens d’ici réclament leurs droits. Ici, on n’est pas en France, on est en Calédonie. Alors, oui, j’ai voté pour l’indépendance, parce que c’est leur droit. »

Il est midi passé. Le flot des électeurs s’est tassé. Assesseurs, employés de mairie, délégué de la commission de contrôle se retrouvent autour d’une table bien garnie. Aucun incident, pour l’heure n’a été à signaler.

Patrick Roger (Thio, Nouvelle-Calédonie, envoyé spécial)

  • Référendum en Nouvelle-Calédonie : forte participation à la mi-journée La Nouvelle-Calédonie, territoire français du Pacifique votait, dimanche 4 novembre, pour ou contre son indépendance. Le taux de participation, élevé, s’établissait à 41,81 % à la mi-journée, selon le Haut-Commissarait de la République. Les 284 bureaux de vote ont ouvert dimanche à 8 heures (22 heures samedi à Paris) pour un référendum d’autodétermination historique où le non à l’indépendance part favori. A titre de comparaison, le Haut-Commissariat rappelle que, lors des élections provinciales de 2014, ce taux était à la même heure de 27,27 %. Les électeurs ont jusqu’à 18 heures (8 heures heure de Paris) pour dire s’ils souhaitent que la Nouvelle-Calédonie « accède à la pleine souveraineté et devienne indépendante ». La proclamation des résultats est attendue dans la soirée (dimanche matin à Paris) et le président de la République Emmanuel Macron s’exprimera peu après.