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La communication écrasante des business schools françaises les ferait presque passer à la trappe. Pourtant, les 33 instituts universitaires d’administration des entreprises (IAE) forment une large part des étudiants en management et en accueillent aujourd’hui environ 50 000.

Dans le paysage de l’enseignement supérieur, l’éternelle confrontation entre privé et public tend à s’estomper, au profit d’une collaboration croissante. Les IAE tentent de miser sur leurs vertus pour affirmer leur identité face aux écoles issues des chambres de commerce ou créées par des groupes privés.

« Un IAE est un peu une auberge espagnole. Cette mixité permet d’apprendre à travailler avec des personnes ayant des bagages très différents. » Christian Defélix, directeur de l’IAE Grenoble

Grenoble compte au moins deux grandes écoles de commerce : la Grenoble école de management (GEM), une création de la CCI qui s’offre le luxe de figurer dans le classement du Financial Times, et l’Idrac, disséminée sur neuf campus en France. Pour se distinguer, l’IAE local, créé en 1956, composante de l’université Grenoble Alpes, met en avant l’atout de la double compétence. « Des pharmaciens, des juristes ou des ingénieurs peuvent venir se former chez nous pendant un an dans le but d’obtenir des compétences en gestion », explique son directeur Christian Defélix. Grenoble IAE attire chaque année environ 700 candidats, pour 170 places en troisième année de licence.

A Toulouse, « dans nos diplômes de gestion, le droit représente 30 % des cours ; donc appartenir à une université reconnue pour son excellence en droit, c’est disposer de la présence de juristes de haut rang pour nos formations », illustre Hervé Penan, directeur de la Toulouse School of Management (TSM) – ex-IAE Toulouse Capitole.

Pluridisciplinarité

La structure même des IAE, dont le conseil d’administration compte non seulement des enseignants et des étudiants, mais aussi des entreprises privées, employeurs potentiels implantés localement, est, pour Hervé Penan, un atout : « Quand les professionnels liés à notre école nous disent que les métiers de la banque changent avec l’impact du numérique, nous sommes capables de réagir et de faire évoluer les cours en anticipation des nouveaux besoins des recruteurs ».

« Un IAE est un peu une auberge espagnole, observe Christian Defélix, à Grenoble. Les étudiants arrivent après une première formation. Certains sortent d’un DUT, d’un BTS, d’autres de classes préparatoires, d’autres encore de Staps (sciences et techniques des activités physiques et sportives), d’ingénierie ou de droit… Cette mixité leur permet d’apprendre à travailler avec des personnes ayant des bagages très différents. »

Certaines universités ont réussi à développer des diplômes en management réputés. A l’université Paris-Dauphine, Sabine Mage, vice-présidente chargée de la formation, estime qu’ils parviennent à « se distinguer par la pluridisciplinarité offerte, en proposant des choix d’orientation plus larges que dans les business schools, et en ayant une recherche académique de haut niveau. Un environnement très stimulant ».

Accessibilité

« On ne peut pas dire qu’on propose la même chose que HEC, ce ne serait pas sérieux, tempère le Toulousain Hervé Penan, mais nous sommes capables d’offrir un service d’au moins aussi bonne qualité que dans les business schools régionales, comme celles de Marseille, Toulouse ou Brest. » Eric Lamarque, président du réseau IAE France, estime même que « sur le plan du contenu pédagogique des formations, les IAE sont souvent très au-dessus des écoles privées ».

Atout majeur : pour une formation souvent d’aussi bonne qualité, le prix, lui, est nettement inférieur. Un master d’IAE coûte environ 300 euros par an, contre des milliers d’euros dans la majorité des business schools. Cette accessibilité a un impact direct sur le profil des candidats. A TSM, 35 % des étudiants sont boursiers et bénéficient donc d’une exemption de frais de scolarité.

« Pour ces jeunes, l’université et ses IAE ont un rôle d’ascenseur social ; un rôle que ne peuvent pas assumer la plupart des business schools, relève Hervé Penan. Donc notre identité, en tant qu’IAE, c’est aussi de remplir une mission de service public. » Une mission très appréciée en région : les étudiants de l’IAE grenoblois sont plus facilement recrutés par des PME ou TPE implantées localement.

Accréditations

Si les vertus des IAE sont bien réelles, ils ont parfois pris un vrai retard sur les écoles privées, notamment en termes d’innovations pédagogiques. Ainsi de la place accordée à la pédagogie inversée, ou au e-learning et aux MOOC, ces nouveautés qui ont fleuri en un temps record dans les business schools – et dans leur communication.

« L’impact de la révolution numérique, notamment pour digitaliser une partie de nos formations, devrait sans doute être mieux affronté », concède Sabine Mage à Paris-Dauphine. Pour Christian Defélix, l’innovation pédagogique serait tout simplement moins visible dans les instituts universitaires : « Les classes inversées étaient dans les IAE dès les années 1990 ! Des IAE comme Poitiers ou Caen ont investi sur la formation à distance ».

« Les IAE ont la chance d’avoir des diplômes reconnus par l’Etat, des financements pour recruter d’excellents professeurs, mais ils sont contraints par un manque de flexibilité. » Alice Guilhon, directrice de Skema Business School

Les business schools concurrentes mettent en avant l’internationalisation, sur laquelle les IAE auraient pris du retard. « A cause du manque de flexibilité des rémunérations, ils recrutent moins de professeurs étrangers que nous, et attirent moins d’étudiants internationaux, assure Alice Guilhon, directrice générale de Skema Business School. Les écoles de commerce privées travaillent davantage leur visibilité à l’international, en s’appuyant beaucoup sur les réseaux de diplômés, ce que ne font pas tous les IAE. »

La course à la visibilité internationale se joue sur le terrain des accréditations. A ce jour, seuls l’IAE d’Aix-en-Provence et celui de Paris-Dauphine sont accrédités Equis (European Quality Improvement System, accréditation de la European Foundation for Management Development), face à une flopée d’écoles privées. La plupart des IAE espèrent obtenir ce sésame ou d’autres accréditations dans les années à venir.

Ce souhait ne pourra s’exaucer que pour une partie seulement d’entre eux. Le niveau est presqu’aussi hétérogène parmi les 33 IAE que du côté des business schools. Certains instituts accueillent aujourd’hui un nombre réduit d’étudiants et de professeurs, proposent une offre restreinte de formation et une recherche peu performante : ils ont oublié leur « mission » universitaire et de « service public » – souvent à cause de l’absence de moyens, parfois accentuée par les fusions d’universités. « Les IAE sont très différents les uns des autres : certains sont des fers de lance, d’autres sont à la traîne, résume Alice Guilhon. S’ils ont la chance d’avoir des diplômes reconnus par l’Etat, des financements pour recruter d’excellents professeurs, leur épine dans le pied est d’être contraints par un manque de flexibilité, d’autonomie de décision et de réactivité. »

Pour s’adapter et préserver leur place dans le paysage français des écoles de management, l’enjeu pour les IAE se joue donc aussi en interne. « Certaines universités ont fait le choix, par mépris ou par méconnaissance, de ne pas mettre en valeur leur IAE, regrette Eric Lamarque. Il est temps de prendre conscience que les IAE peuvent contribuer au rayonnement de nos universités. »

« Le Monde » organise son Salon des grandes écoles les 10 et 11 novembre

La 13e édition du Salon des grandes écoles (SaGE) aura lieu samedi 10 et dimanche 11 novembre à Paris, aux Docks, Cité de la mode et du design (13e arrondissement), de 10 heures à 18 heures.

Plus de cent cinquante écoles de commerce, d’ingénieurs, IAE, IEP, écoles spécialisées et prépas y seront représentées, permettant d’échanger sur les différents programmes et leur accessibilité (post-bac, post-prépa ou après un bac + 2, + 3 ou + 4). Lycéens, étudiants et parents pourront également assister à des conférences thématiques animées par des journalistes du Monde Campus. Une équipe de vingt « coachs » pourra également conseiller lycéens, étudiants et parents pour définir leur projet d’orientation, préparer les concours ou rédiger leur CV.

L’entrée en sera gratuite, la préinscription en ligne est conseillée pour accéder plus rapidement au Salon. Liste des exposants et informations pratiques sont à retrouver sur le site Internet du SaGE.