L’entrée du marché Paul-Bert - Serpette, à Saint-Ouen, en 2013. / BERTRAND GUAY / AFP

Au marché Paul-Bert - Serpette, la plus grande concentration d’antiquaires des puces de Saint-Ouen, une partie des 350 marchands est vent debout contre le propriétaire des lieux, Jean-Cyrille Boutmy. Motif de leur courroux, le partenariat noué « sans concertation » avec la maison de ventes Millon pour vendre aux enchères en ligne des objets confiés par certains exposants du marché. Ces derniers présenteront du 9 au 11 novembre les œuvres sur leur stand, avant de les disperser, le 12 novembre à 18 heures, par le biais du site pbs-auction.com.

Les marchands qui se prêtent au jeu ne payent pas de frais vendeur. Les acheteurs devront en revanche débourser des frais de 16,5 % hors taxes. « Sur l’ensemble du marché, il y a 150 000 objets. L’idée est de vendre en ligne une petite centaine de lots. C’est de l’événementiel pour faire venir les gens », confie Jean-Cyrille Boutmy, qui souhaite tester l’opération sur quatre mois avec un programme de quatre à huit ventes. « Paul-Bert - Serpette n’a pas à devenir une succursale de Millon, rétorque le marchand Cyril Grizot, dans un courriel adressé à ses confrères. Ils veulent nous faire croire que cela va dynamiser nos ventes et nous donner plus d’importance sur la scène internationale, mais, en réalité, cela va dynamiter notre activité et nous prendre encore plus de parts de marché. »

L’opération « marque la fin de l’hypocrisie »

Vendre aux enchères, n’est-ce d’ailleurs pas un aveu de faiblesse pour un marchand ? « C’est plutôt une opportunité », estime l’antiquaire Myriam Lallemand, qui a décidé de mettre en vente huit objets estimés entre 300 et 2 000 euros. Pour Alexandre Millon, l’opération « marque la fin de l’hypocrisie ». Et d’ajouter : « Les ventes de spécialités aux enchères sont montées à 20 % voire 50 % avec une marchandise provenant de professionnels. » Les opposants ne l’entendent pas de cette oreille. « Si nous passions notre temps à vendre aux enchères, pourquoi continuons-nous à payer des loyers de plus en plus exorbitants [entre 500 et 2 000 euros par mois] pour tenir des stands trois jours par semaine ? », lance une antiquaire qui souhaite rester anonyme.

Les réfractaires redoutent enfin un détournement de leurs fichiers acheteurs. « Les clients qui vont acheter par l’intermédiaire de PBS Auction sont surtout nos clients, martèle Cyril Grizot. S’ils sont dans nos allées, c’est qu’ils ne sont pas dans les salles des ventes ou derrière un ordinateur. » Cette polémique traduit un malaise plus profond. Malgré leur indéniable attraction touristique, les puces ne font plus rêver comme avant. « Nous sommes dans un marché de moins en moins dynamique, indique le marchand Frédéric Cordin, spécialiste des armes anciennes, qui a décidé de participer à l’opération. On vivait beaucoup le vendredi et le lundi. Aujourd’hui, il n’y a plus personne ces jours-là, hormis des marchands. Les promenades aux puces se raréfient. »

Les réfractaires redoutent précisément que les ventes aux enchères accélèrent ce mouvement et que les puces, vidées de leur substance, deviennent la proie des promoteurs. « Saint-Ouen va accueillir le village des Jeux olympiques en 2024, un nouvel hôpital en 2025. La ville attire beaucoup de monde, c’est facile d’accès. Combien d’appartements peut-on construire sur un terrain comme Paul-Bert - Serpette ? », s’inquiète un antiquaire. « Théorie du complot, réplique Jean-Cyrille Boutmy, qui a acheté Paul-Bert - Serpette pour environ 30 millions d’euros en 2014. Les puces sont classées pour leur ambiance. Il serait compliqué, voire impossible, de les raser, et ce n’est pas mon envie. »

Paul Bert-Serpette, le plus grand grenier du monde