« Une victoire pour le quartier. » L’horloger de Saint-Paul ne cache pas son soulagement. A la pointe de la lutte contre l’implantation de l’extrême droite dans le Vieux Lyon, Philippe Carry vient d’apprendre l’imminence de la fermeture du local du Bastion social, émanation du groupuscule d’extrême droite violent et autodissous Groupe union défense (GUD) prônant désormais l’aide sociale réservée aux « Français de souche ».

Après deux mises en demeure restées sans réponse, un arrêté municipal a finalement été pris, mardi 6 novembre, par la ville de Lyon. Il somme le Bastion social de fermer son « pavillon noir » pour non-conformité à diverses exigences de sécurité (entretien des équipements de chauffage ou d’électricité, schémas d’évacuation…). Condamné pour incitation à la haine raciale en août, son fondateur Steven Bissuel avait déjà démissionné de la présidence du mouvement d’extrême droite en septembre, et fermé son propre magasin, installé à deux pas.

Car le pavillon noir n’était pas le seul QG ultra dans le quartier. D’année en année, le Vieux Lyon est devenu une place forte de l’extrême droite lyonnaise. Non loin de l’horlogerie, les identitaires de Rebeyne ! (« émeute » en lyonnais)/Génération identitaire ont accolé une salle de boxe et de musculation à leur siège, la « Traboule » – à la vente, t-shirts « remigration, just do it » ou « Defend Europe », du nom de leur opération anti-migrants. Suit la « maison bleue » du Parti nationaliste français d’Yvan Benedetti, réactivation de l’Œuvre française et des jeunesses nationalistes d’Alexandre Gabriac dissoutes après la mort de Clément Méric, qui ne serait aujourd’hui plus occupée. « Une minorité, mais bien implantée », résumait une source policière il y a quelques mois.

La police administrative en dernier recours

Et l’horloger de Saint-Paul en sait quelque chose. « Je savais ce qui allait m’arriver », argue-t-il en racontant cette nuit de septembre 2017 où sa vitrine et la porte menant à son appartement ont été attaquées. Par qui ? Haussement d’épaules : « D’après vous ? » Quelques semaines plus tôt, l’artisan avait condamné dans la presse locale l’implantation de la nébuleuse d’extrême droite dans son quartier. Après la parution de l’article, chaque matin jusqu’à la nuit de l’attaque, il décollait une flopée d’autocollants apposés durant la nuit, autour de son enseigne – ici un Guignol tenant une batte sous la formule « zone anti-racaille », là trois mots bruts : « Chassons les islamistes ». Le tout siglé, et donc pour lui « signé », Génération identitaire. Plainte classée. « Il y a des dégradations et on nous dit “C’est l’extrême droite”. OK, mais il y a des charges à réunir pour poursuivre dans un Etat de droit ! », justifiait alors une source proche de l’enquête.

Face aux craintes des habitants du quartier, aux copropriétaires partageant l’immeuble avec le « pavillon noir », fuyant la résidence jusqu’à louer un appartement ailleurs, ou à ceux racontant les « chants », « récits de bataille » et « propos haineux » résonnant dans les couloirs, la mairie avouait elle aussi se trouver « un peu démunie », selon les propres termes d’une élue locale. Sans délit caractérisé, la police administrative restait donc la seule arme entre ses mains. Quelques mois après la première mise en demeure de mai, la sentence est donc tombée pour le Bastion social : fermé. Un habitant se fait plus nuancé : « Ça ne les empêchera pas de se réimplanter dans le bâtiment à côté. »

S’il se « [réjouit] de cette fermeture administrative », le député LRM du Rhône Thomas Rudigoz reste lui aussi prudent, appelant à « rester vigilants face à l’activisme du Bastion social ». Etape suivante pour l’élu du parti de gouvernement qui a envoyé une lettre à son premier ministre : obtenir la dissolution pure et simple du groupuscule d’extrême droite.