Des policiers à Kaboul, près du site d’une attaque-suicide, le 29 octobre. / OMAR SOBHANI / REUTERS

Les forces de sécurité afghanes paient un lourd tribut à une guerre dont le monde semble aujourd’hui se désintéresser. Selon le secrétaire américain à la défense, James Mattis, les policiers et militaires afghans ont compté, dans leurs rangs, « plus de 1 000 victimes pour les seuls mois d’août et de septembre ». M. Mattis, qui s’exprimait le 30 octobre, en marge d’une conférence à Washington à l’Institut pour la paix, n’a pas fourni de détails sur la proportion entre le nombre de blessés et de morts ni entre forces civiles et militaires.

Bras armé du Congrès américain, les services de l’inspecteur général spécial pour la reconstruction de l’Afghanistan (Sigar), qui traquent les ­dérapages en matière budgétaire, notamment dans les fonds alloués aux forces afghanes, l’ont confirmé le 1er novembre, là encore sans toutes les précisions : « Depuis 2015, le nombre de victimes au sein des forces de sécurité afghanes n’a jamais été aussi élevé qu’entre le 1er mai et le 1er octobre. »

Ces données ne doivent pas faire oublier, rappelle l’Unama, la mission politique de l’ONU en Afghanistan, que 8 050 civils ont été victimes de cette guerre au cours des neuf premiers mois de 2018, dont 313 morts et 336 blessés imputables aux frappes américano-afghanes, soit une augmentation de 39 % par rapport à 2017.

Première ligne

Le Sigar a en outre précisé que le gouvernement afghan ne contrôlait plus « que 55 % » de son territoire. Ce chiffre est le plus bas enregistré depuis 2015, quand ces relevés ont commencé. Le Sigar constate que le gouvernement de Kaboul et ses forces sont sur la défensive, notamment depuis la mise en place par Washington, cet été, d’un canal de discussion direct et exclusif avec les talibans.

Cette détérioration de la situation sécuritaire depuis 2015 est liée au départ de l’OTAN, fin 2014. Les forces étrangères, surtout américaines, sont passées d’un coup de 140 000 personnels à moins de 15 000 aujourd’hui, dont une grande partie sont des unités spéciales réservées aux interventions ponctuelles : extrême urgence lorsqu’une ville est sur le point de tomber aux mains des talibans, comme cet été à Ghazni, dans le centre du pays, ou des opérations contre des groupes de l’organisation Etat islamique. Ces effectifs bénéficient d’un appui aérien important sans lequel les Afghans n’auraient jamais pu reconquérir certains territoires stratégiques ou symboliques.

Depuis 2015, les forces afghanes sont donc placées en première ligne des affrontements avec les différents mouvements insurgés dans le pays. En dépit des efforts budgétaires et d’encadrement de la communauté internationale, leur formation et leur équipement demeurent faibles.

Désertions

De plus, comme l’a regretté à plusieurs reprises la délégation européenne en Afghanistan, lors de réunions au sujet de la formation de la police afghane qu’elle contribue à financer, les policiers sont les premières victimes des attaques des insurgés car ils sont mobilisés pour des tâches de combat qui ne devraient pas être de leur ressort – ils ne sont ni équipés ni formés pour cela. Les pertes enregistrées dans leurs rangs expliqueraient un fort taux d’attrition et même de désertion. Selon le Sigar, il manquerait 40 000 membres aux forces de sécurité afghanes.

Pour toutes ces raisons, le chiffre des victimes recensées au sein des forces de sécurité est devenu un tabou, car il illustre l’incapacité du pouvoir afghan non seulement à assurer la sécurité sur son territoire, mais encore plus à construire un appareil de sécurité solide et fiable. La question est devenue si sensible que l’actuel président afghan, Ashraf Ghani, avait obtenu auprès du mentor américain, depuis la fin 2017, que les chiffres des pertes au sein des forces afghanes ne soient plus révélés publiquement.

Son vœu a été respecté par les autorités américaines jusqu’à cette déclaration du 30 octobre de James Mattis. Cette initiative a été vue par Kaboul comme une manière pour Washington de prendre ses distances avec le chef de l’Etat, à six mois d’une élection présidentielle à laquelle il compte bien se présenter.