Un électeur malgache dans un bureau de vote d’Antananarivo au premier tour de l’élection présidentielle, le 7 novembre 2018. / MARCO LONGARI / AFP

« C’est mon devoir d’aller voter, on est en république. Il ne faut pas s’en priver, c’est la seule façon de faire bouger les choses », s’exclame Jean, 55 ans, dans un français parfait. L’ancien enseignant montre fièrement son pouce marqué par l’encre violette, sa carte d’électeur à la main. Il a voté il y a déjà une demi-heure, dès l’ouverture de l’école primaire du quartier d’Ankadivato, à Antananarivo, transformée pour l’occasion en bureau de vote.

Il est 6 h 30 ce mercredi 7 novembre et, à l’intérieur de la cour ombragée, une file d’attente se dessine déjà. La journée a été déclarée fériée. Dans ce quartier résidentiel et aisé de la capitale malgache, construit à flanc de colline, beaucoup d’électeurs ont fait le déplacement. « C’est normal, abonde Simone, qui gère une petite entreprise de vêtements. Ça veut dire que nous avons la volonté de changer. J’ai 65 ans et je vois vraiment la différence avec les élections de 2013. »

Près de 10 millions d’électeurs étaient invités à participer au premier tour de l’élection présidentielle, au cours de laquelle s’affrontent 36 candidats, dont Hery Rajaonarimampianina, le chef de l’Etat sortant, et les deux ex-présidents Marc Ravalomanana (2002-2009) et Andry Rajoelina (2009-2013). Dotés d’énormes moyens pour mener campagne, ils ont largement éclipsé les autres prétendants en promettant de développer Madagascar et de réduire l’extrême pauvreté, qui touche encore 75 % de la population.

Un scrutin sans incident notable

Le devoir du vote et la fierté de pouvoir exprimer leur voix revient comme une ritournelle dans la bouche des Malgaches qui attendent patiemment leur tour dans les cours d’école d’Antananarivo. Lors de la précédente présidentielle, en 2013, le taux d’abstention était de près de 40 % au premier tour, pour s’envoler à près de 50 % au second. Si le discours est aujourd’hui plus optimiste, les chiffres en fin de matinée l’étaient moins dans un bureau de vote à Ampefiloha, un autre quartier de la capitale : sur 650 personnes inscrites, seulement 140 se sont déplacées.

Parmi les habitants mobilisés, il y a aussi ceux qui votent pour une raison précise, avec la conviction intime que l’élection peut changer la donne. « C’est très important pour moi. Il y a six mois, un de mes amis a été poignardé à mort par des bandits dans le quartier des 67 ha, explique Lova, 19 ans, le visage grave, qui vote pour la première fois de sa vie. Ils ont volé son ordinateur. La sécurité est un besoin vital, on ne peut rien faire sans. »

Si la journée s’est déroulée sans incident notable, quelques retards ont été constatés lors de l’ouverture des bureaux de vote. A Isotry, un bas quartier de la capitale, les urnes, le drap de l’isoloir et les bulletins uniques sont arrivés la veille à 21 heures au lieu de 9 heures. « Comment voulez-vous qu’on installe tout ça alors qu’il fait nuit noire ?, demande Nambinina, 26 ans, qui préside le bureau de vote. Il n’y a pas d’électricité ici ! » L’homme montre du doigt les câbles qui pendent au plafond : « On a dû tout installer ce matin et forcément, on a pris une demi-heure de retard. »

Dans la salle de classe, des peintures d’enfants sont collées au mur et les assesseurs sont assis sur des pupitres. Une file d’une trentaine de personnes commence à se former à l’extérieur, la tête protégée du soleil par des parapluies. « On est obligé d’expliquer à chaque électeur comment il faut procéder. Ce n’est pas si évident », souligne Nambinina. Le bulletin unique n’est pas une première à Madagascar – il était déjà utilisé en 2013 –, mais il se lit cette fois de gauche à droite et non de bas en haut. Les noms des 36 candidats y sont inscrits. Pour que le bulletin soit valable, il ne doit pas être signé et la croix ne doit pas dépasser de la case cochée. Les listes électorales connaissent aussi quelques anomalies : un commerçant a ainsi eu la surprise de recevoir la carte électorale de sa mère décédée deux ans plus tôt.

Voter ou gagner quelques sous

Si Antananarivo est plus calme et moins bruyante en ce jour férié, le labeur des travailleurs du secteur informel suit son cours. Les marchés sont pleins et les vendeurs à la sauvette sur le pont.

A quelques kilomètres d’Isotry, le long du canal, se trouve La Réunion Kely, le plus vaste bidonville de la capitale malgache : odeur putride de l’eau stagnante, déchets qui s’amoncellent par milliers sur les rives… « Je gagne entre 500 et 1 500 ariary [entre 0,12 et 0,37 euro] par jour, articule « Bota » (un surnom qui veut dire « gros »), 55 ans, collecteur de déchets. Pourquoi voulez-vous que j’aille voter ? Ce n’est pas un nouveau président qui va me faire manger. » Entre aller voter et gagner quelques sous, le choix a été vite fait. Devant lui sont entassés des bouteilles d’eau et des bouts de plastiques nettoyés qu’il espère revendre. De toute façon, Bota vient de la campagne : il n’est pas né à l’hôpital et ne possède pas de carte d’identité, indispensable pour aller aux urnes.

À la mi-journée, le ministère de l’intérieur a annoncé un taux de participation de 40 % sur toute l’île. Les premiers résultats provisoires – et très partiels – sont attendus d’ici à vendredi matin, mais la proclamation des résultats officiels est prévue le 28 novembre. Si aucun candidat ne l’emporte au premier tour, un second est prévu le 19 décembre.