Midterms : des démocrates perdants mais prometteurs
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Suite aux élections de mi-mandat, les démocrates ont retrouvé, pour la première fois depuis 2010, une majorité à la Chambre des représentants. Les républicains ont, en revanche, renforcé leur majorité au Sénat.

Pour Donald Trump, cela signifie une difficulté accrue à faire passer des textes au Parlement, et une obligation de compromis sur de nombreux projets de loi. Une majorité à la Chambre va aussi permettre aux démocrates d’initier de nombreuses enquêtes parlementaires sur la présidence Trump, ce qui était jusqu’ici impossible pour l’opposition.

Julia : Quelles sont les conséquences pour Trump et son parti d’avoir gagné le Sénat ? N’est-ce pas moins important que la Chambre finalement ? Pourriez-vous expliquer les enjeux d’une telle « victoire » ?

Gilles Paris : Donald Trump et le Parti républicain n’ont pas gagné le Sénat puisqu’ils y étaient déjà majoritaires. Grâce à un renouvellement partiel très favorable, ils ont en revanche accru leur majorité qui ne tenait qu’à un siège, ce qui devrait leur permettre de continuer à nommer des juges fédéraux conservateurs à des postes gelés par des manœuvres d’obstruction pendant les deux dernières années du second mandat de Barack Obama.

Cette capacité renouvelée constitue la bonne nouvelle de la soirée pour le président, qui va devoir faire désormais une croix sur une partie de son programme, à commencer par la construction du « mur » à la frontière avec le Mexique, à moins d’un compromis avec les démocrates très improbable à ce stade. De même avec le projet de nouvelle baisse d’impôts pour la classe moyenne sorti du chapeau présidentiel à la veille des midterms.

Du fait de profondes divisions internes républicaines, le Congrès a été spectaculairement peu productif pendant les deux années pendant lesquelles le Parti républicain a contrôlé les deux chambres et la Maison Blanche. Il n’a adopté qu’une loi majeure, une réforme fiscale, grâce à un artifice de procédure au Sénat, et qui restée impopulaire. Nul doute que le président s’efforcera désormais de rendre les démocrates de la Chambre des représentants responsables des blocages prévisibles à Washington.

Godot : Peut-on parler d’un vote d’adhésion à M. Trump ?

Gilles Paris : C’est sans doute le message que va s’efforcer de faire passer la Maison Blanche. Il est cependant difficile, au soir d’une élection présentée par l’intéressé comme un référendum sur le président, de parler d’un vote d’adhésion après la perte d’une des deux chambres du Congrès. Les élections des représentants, parce qu’elles se déroulaient sur l’ensemble des Etats-Unis, sont plus représentatives que les gains obtenus par le Parti républicain dans des Etats où Donald Trump l’avait emporté en 2016.

Le vote à la Chambre des représentants traduit un rejet, peut-être tempéré par les redécoupages électoraux. L’analyse de celui du Sénat est plus ambivalente. Même si nous n’avons pas encore tous les résultats, un nombre équivalent de démocrates l’a également emporté mardi dans ces Etats compliqués, notamment dans le Wisconsin, l’Ohio, la Pennsylvanie, la Virginie Occidentale, qui avaient été déterminants dans la victoire du président.

Ted : Peut-on dire que, depuis 2016, les démocrates l’emportent globalement dans les scrutins basés sur le vote populaire (Chambre des représentants), et les républicains lorsque le système électoral fait référence à une représentation territoriale (Sénat et grands électeurs pour la présidence) ?

Gilles Paris : Les républicains n’ont remporté le vote populaire qu’une seule fois lors des cinq dernières présidentielles, en 2004. Et les millions d’électeurs de Californie n’ont pas plus de poids que les 500 000 électeurs du Wyoming. Cette situation peut sembler surprenante mais la règle du jeu n’est guère contestée.

Si l’on compare le résultat des midterms avec celui de la présidentielle, on note que les gains républicains reposent en majorité sur cette représentation territoriale particulière. Elle est déterminante pour Donald Trump dont la base est surreprésentée dans ces Etats ruraux, encore très majoritairement blancs. Mais la carte électorale américaine est également fluide, même si les transitions sont longues à se dessiner.

Damien88000 : Malgré toutes les manifestations d’hostilité à l’égard de leur président, la majorité des Américains a choisi de renforcer ses pouvoirs. Les médias n’auraient-ils pas sous-estimé la popularité de Donald Trump ?

Gilles Paris : La popularité de Donald Trump que vous mentionnez est très relative, ce qui est paradoxal lorsque l’on regarde la santé insolente de l’économie américaine, le bas niveau historique du chômage, le début de hausse des salaires… La preuve que les élections ont plus joué sur des ressorts identitaires que socio-économiques. Encore une fois, le vote à la Chambre ne peut pas être présenté autrement que comme un désaveu, même s’il est moins passif qu’espéré par les démocrates. Celui du Sénat reflète en revanche la mobilisation incontestable de la base trumpiste, qui est rangée plus que jamais derrière le président.

Kerouac : Quels types d’enquêtes parlementaires (et avec quelles conséquences) sur la présidence Trump les démocrates, majoritaires à la Chambre, vont-ils pouvoir activer ?

Gilles Paris : Les démocrates vont exercer un contrôle plus tatillon de la Maison Blanche. Barack Obama en avait fait l’expérience pendant six ans. Cela ne l’a pas particulièrement gêné mais son administration était beaucoup plus disciplinée et efficace que celle de Donald Trump.

L’enquête de Robert Mueller est placée sous la supervision du numéro deux du département fédéral de la justice. Il est probable que Donald Trump renvoie l’attorney general des Etats-Unis, Jeff Sessions, dont il juge qu’il ne le protège pas assez, pour le remplacer par quelqu’un qui aurait alors pleine autorité sur le procureur spécial (Jeff Sessions s’est récusé). La majorité dont il disposera au Sénat lui permettra de procéder à une telle nomination sans rencontrer d’obstacles. Il se peut par ailleurs que Robert Mueller livre assez rapidement ses conclusions.

Gina : On parle moins des élections des gouverneurs. Quels sont leurs pouvoirs ? Leur élection est-elle moins politique et plus locale que les élus des Chambres ?

Gilles Paris : Les réélections de gouverneurs républicains dans des bastions démocrates, comme Larry Hogan dans le Maryland et Charlie Baker dans le Massachusetts, témoigne effectivement de ce facteur local. Il s’agit dans les deux cas de modérés, qui se tiennent à bonne distance de Donald Trump. Les démocrates ont également obtenu de bons résultats au-delà de leurs bases comme au Kansas, et ils ont échoué de peu dans le Dakota du Sud avec un candidat très centriste. Le solde des élections de gouverneurs sera au final nettement négatif pour les républicains. C’est un élément à prendre en compte pour le redécoupage électoral consécutif au recensement décennal de 2020. Les républicains l’ont exploité au maximum de leurs possibilités depuis 2010, au point de voir certaines cartes invalidées par la justice, comme en Pennsylvanie.

Quentin : La victoire des démocrates à la Chambre leur permet de bloquer un certain nombre de lois. C’est une défaite pour Trump, bien sûr, mais ne risque-t-il pas de s’en servir dans deux ans pour, encore, dénoncer le blocage de ses réformes par les élites et jouer le coup du candidat du peuple face à la bureaucratie ?

Gilles Paris : Sans doute Donald Trump essaiera-t-il de présenter les démocrates de la Chambre comme des obstructionnistes, une accusation déjà familière. Dans les faits, comme le Sénat républicain ne sera souvent pas à même d’adopter des projets de loi, contrairement à la Chambre, c’est plutôt la Haute Assemblée qui refusera d’examiner les textes adoptés par les démocrates.

Donald Trump, qui pratique très volontiers la défausse en politique, joue déjà cette carte de l’homme empêché par les « politiciens » de Washington. Venant de la part de celui qui avait promis de mettre fin au blocage et qui a disposé pendant deux ans de tous les pouvoirs sans guère de résultats, la manœuvre ne trompera que ses sympathisants.