Le président sud-soudanais, Salva Kiir (chapeau), et le chef rebelle Riek Machar se serrent la main, à Juba, le 31 octobre 2018. A droite, le président soudanais, Omar Al-Bachir. / PRESIDENTIAL PRESS UNIT - UGANDA / AFP

Tribune. Il devait rester quelques jours, il ne sera finalement resté que six heures. Après plus de deux ans d’exil, Riek Machar, l’ancien vice-président qui avait dû fuir le Soudan du Sud en juillet 2016, a estimé que passer la nuit à Juba, la capitale, était un risque pour sa sécurité. C’est dans cet état d’esprit que se sont déroulées les festivités de la journée de la paix, mercredi 31 octobre, célébrant le nouvel accord signé en septembre entre les belligérants.

Après cinq ans de guerre civile à la suite d’une mésentente sur la répartition du pouvoir (et les dividendes qui vont avec) entre le président Salva Kiir, un Dinka, et son ancien vice-président Riek Machar, un Nuer, les différents chefs d’Etat de la région ont fait le déplacement pour célébrer ce « nouveau départ » : les présidents ougandais et soudanais évidemment, têtes pensantes aussi bien de la guerre que de la paix, mais aussi la nouvelle présidente éthiopienne ainsi que son homologue somalien. Seul le président kényan manquait à l’appel.

Avant les négociations de paix, en juillet et en août, la guerre s’était intensifiée afin d’avoir la meilleure main autour de la table, signe déjà que le mot « apaisement » n’était pas dans toutes les têtes. Le général Paul Malong Awan avait lancé sa propre rébellion, espérant être invité au partage du gâteau, sans succès.

A Khartoum en septembre, Omar Al-Bachir, président soudanais aussi malicieux que pernicieux – et sous mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale pour génocide au Darfour –, avait bouclé le processus de paix en quarante-huit heures, sans le soutien de la Troïka (Etats-Unis, Norvège et Royaume-Uni). Après trente ans de détestation mutuelle, cinq ans de guerre totale et 400 000 morts liés au conflit, voilà que Salva Kiir et Riek Machar souriaient et posaient devant les photographes en se serrant la main.

Sur le côté, Al-Bachir semblait satisfait. C’est qu’il venait de forcer son poulain Riek Machar à signer, ce qui permettra la réouverture des puits de pétrole dans le nord du pays et un accord avec Khartoum, dans une situation économique délicate, pour le partage des droits. Son ennemi de toujours et partisan de Salva Kiir, le président ougandais Yoweri Museveni, était aussi venu pour s’assurer que la paix soit faite et que ses intérêts soient respectés.

Régime kleptocratique

La dimension ethnique est trop souvent mise en avant lorsque l’on parle du Soudan du Sud : il s’agirait d’un conflit entre Nuer et Dinka, une de ces vieilles histoires, ce que l’Afrique offre de pire. Il serait cependant plus correct de parler de guerres sud-soudanaises au pluriel.

En effet, depuis l’indépendance du Soudan, en 1956, une multitude de conflits se sont formés, certains avec une dimension très locale, d’autres avec une aire géographique plus étendue, mais tous avec des aspects historiques très ancrés. En plus de ces tensions, il existe depuis les années 1990 des désaccords profonds entre les membres de l’Armée populaire de libération du Soudan (SPLM/A), ce mouvement de libération des Sud-Soudanais face à l’oppression du régime de Khartoum considérant les Noirs chrétiens comme des esclaves. A l’indépendance du Soudan du Sud, en 2011, les héros de la libération ont affiché une fausse unité ; et la communauté internationale voulait voir une magnifique indépendance obtenue par référendum.

Mais pendant la guerre d’indépendance, Riek Machar et Salva Kiir se détestaient déjà et Riek Machar faisait déjà le pendule, partant, revenant, sans que réellement les différends soient mis à plat. Après 2011, la situation est restée la même : les élites sud-soudanaises n’ont pas su former une unité pour donner à leur pays la chance qu’il méritait. L’arrivée d’énormes capitaux des agences de développement, la manne financière du pétrole, le sentiment qu’enfin l’argent était à portée de main après des années de pauvreté, ont participé à la mise en place d’une kleptocratie, c’est-à-dire une forme de pouvoir basée sur la corruption et sur l’accumulation privée des richesses publiques. Dans un tel régime, la violence est un outil pour s’offrir plus de parts dans ce marché politique qui ouvre les portes vers les millions.

En 2013, un énième désaccord entre Machar et Kiir a provoqué le début d’une guerre terrible dans le nord-est du pays, la région du premier. Après le retour de Machar à Juba à la suite d’un accord de paix, la situation empire en juillet 2016 : il craint pour sa vie et fuit vers la République démocratique du Congo (RDC) en marchant. Quelques heures après son départ, sa maison explose. Le conflit s’étend au sud du pays, la région de l’Equateur rentrant dans le conflit. Les conséquences sont terribles : 4 millions de réfugiés dans les pays voisins, 2 millions de déplacés, des centaines de milliers de personnes dans les camps de protection des civils, des famines dans certains endroits du pays… Les humanitaires tentent de répondre, mais la situation sécuritaire rend les choses très difficiles.

Les voisins ont dit « stop »

Avec ce nouvel accord, l’Ouganda et le Soudan ont dit « stop », car la guerre devenait hors de contrôle et leurs intérêts économiques commençaient à être menacés. D’après un rapport de l’ONG The Sentry paru en mars, ces années de guerre ont rapporté des millions de dollars aux élites sud-soudanaises, qui ont su utiliser le système bancaire pour sortir les capitaux. Cette manne a permis aux parties belligérantes de continuer la guerre et de ramasser toujours plus d’argent.

L’accord de paix, ou plus exactement l’accord de partage des richesses, est une tentative de diviser le gâteau entre les leaders, afin qu’ils arrêtent de se battre en mobilisant leur ethnie comme instrument. Du citoyen ordinaire ou de la gestion des conflits régionaux, il n’est évidemment pas question. L’accord financier restera ainsi en place jusqu’à ce qu’une partie exige plus et qu’elle estime devoir se battre si nécessaire.

Le 31 octobre, Omar Al-Bachir a reçu un doctorat honoris causa de l’université de Juba pour son rôle de pacificateur dans la région. Salva Kiir, dans son discours, s’est dit « désolé » que le peuple sud-soudanais ait souffert ces cinq dernières années et a promis que maintenant, « tout va bien se passer ». Riek Machar, vers 18 heures, est reparti en avion, pas convaincu que rester une nuit à Juba ne lui coûterait pas la vie. Ainsi va la nouvelle paix au Soudan du Sud.

L’auteur de cette tribune, qui souhaite rester anonyme, travaille dans l’humanitaire en Afrique de l’Est et mène des recherches sur le lien entre kleptocratie et conflit dans la région.