L’Observatoire de la vie étudiante (OVE) a publié, mardi 6 novembre, les résultats de sa première enquête nationale sur la santé des étudiants, à laquelle 18 875 élèves ont répondu entre avril et juin 2016. 73 % des étudiants estiment avoir été en bonne ou très bonne santé dans les quatre semaines précédant l’enquête.

Mais ils sont plus nombreux que l’ensemble de la population à présenter des signes cliniques d’épisodes dépressifs. Les auteurs de cette enquête ont répondu aux questions du Monde.

L’étude de l’OVE montre que les étudiantes ont une perception beaucoup moins positive de leur état que les étudiants. L’expliquez vous ?

Feres Belghith, directeur de l’OVE : Il s’agit d’une constante en matière de santé, que nous observons depuis longtemps dans nos enquêtes, avec en moyenne 10 points d’écart, mais qui s’observe de la même façon en population générale (par exemple en 2014, 71 % des hommes de 16 ans ou plus se déclarent en bonne ou très bonne santé contre 66 % des femmes).

Il s’agit d’un indicateur subjectif – on demande à la personne d’évaluer son état de santé, qui dépend donc aussi de la manière dont les personnes se perçoivent et perçoivent leur rapport au monde, des perceptions qui varient selon le sexe.

De ce point de vue, les représentations sociales liées au genre féminin ou masculin, les codes sociaux de la féminité (fragilité, sensibilité, expression verbale) et de la masculinité (virilité, résistance au mal, prise de risque) jouent sur la manière d’évaluer son état de santé.

Les étudiantes sont également plus nombreuses à se faire dépister que les hommes en ce qui concerne le VIH et l’hépatite B. Qu’est que cela nous apprend ?

Arnaud Regnier-Loilier, directeur de recherche à l’Institut national d’études démographiques (INED) : Cette différence peut en effet tenir au fait que les hommes ne bénéficient pas d’un suivi médical comparable au suivi gynécologique des femmes, lequel favorise un dépistage plus fréquent. Il en résulte, de façon plus générale, des taux de prévalence d’infections sexuellement transmissibles (IST) plus élevés chez les femmes (comme le chlamydia par exemple), du fait qu’elles sont mieux dépistées.

Cela nous apprend que la prévention, notamment des IST, ne peut se réduire à la promotion de comportements sexuels à moindre risque. L’encouragement plus systématique et plus précoce au dépistage, pour les hommes comme pour les femmes, concernant pour des infections parfois sans symptômes est un levier clé afin d’éviter la contamination entre partenaires et le développement silencieux de complications.

Les étudiants fument légèrement plus que la population générale. Pourquoi ?

Feres Belghith : Les différences sont minimes (+ 1,4 point). Il s’agit d’abord d’un effet d’âge, puisque la majorité des étudiants se situent dans les tranches d’âge où la prévalence tabagique est la plus importante. Cependant, on peut également faire l’hypothèse que la situation d’étudiant et ce qu’elle engendre (incertitude, pression, stress…) favorise la consommation de tabac : par exemple, la proportion de fumeurs chez les étudiants qui déclarent s’être sentis en permanence ou souvent nerveux est de 38 % contre seulement 33 % de ceux qui déclarent s’être rarement ou jamais senti nerveux.

Le rapport montre que 45 % des étudiants (35 % des étudiantes) consomment de l’alcool plusieurs fois par semaine ou tous les jours. Une étude de la Smerep publiée en juin soulignait également une forte consommation. Est-ce un phénomène nouveau ?

Yannick Morvan, maître de conférences à l’université Paris Ouest Nanterre-La Défense, et Fabien Gierski, maître de conférences en neuropsychologie à l’université de Reims Champagne-Ardenne : Non, le phénomène n’est pas totalement nouveau, on observait des chiffres similaires sur des enquêtes réalisées à d’autres niveaux, mais c’est la première fois que l’on obtient des données sur un effectif aussi important et surtout représentatif de la population des étudiants à l’université.

Il est important de rappeler que la consommation quotidienne ne concerne que 1 % des étudiants et que la consommation « plusieurs fois par semaine » peut regrouper des réalités diverses comme des consommations modérées sur des périodes festives ou bien des consommations chroniques beaucoup plus inquiétantes.

Afin d’apporter un éclairage complémentaire, nous avons également interrogé les étudiants sur les pratiques de consommation importante d’alcool dans le but de rechercher l’ivresse. Ce type de consommation est présent une ou plusieurs fois par mois chez 13 % des étudiants et une fois par semaine ou plus pour 3 % d’entre eux.

Près de 50 % des étudiants déclarent avoir consommé du cannabis. Quel est le profil du consommateur étudiant ?

Yannick Morvan et Fabien Gierski : Ce sont en effet environ 46 % des répondants qui ont déjà consommé du cannabis au cours de leur vie, ils sont en revanche 23 % (données à paraître) à avoir consommé au cours des douze derniers mois et environ 5 % ont eu une consommation de cannabis régulière (hebdomadaire ou quotidienne) au cours de la même période. Si l’on s’intéresse au profil des consommateurs à risque notamment quotidien, ce sont plutôt, toutes choses égales par ailleurs, des étudiants de sexe masculin, en lettres et sciences humaines ou IUT et plutôt avec des difficultés financières.

Constatez-vous une hausse de la consommation d’autres produits (stimulant, dopant…) ?

Yannick Morvan et Fabien Gierski : Nous manquons de points de comparaison pour objectiver une hausse ou non de la consommation de ces produits, mais il est très probable que l’on assiste depuis quelques années à une banalisation et une recrudescence de la consommation de produits stimulants et notamment des opiacés tels que la cocaïne ou la « lean » (cocktails à base de sirop codéinés tel que le « purple drank »).

Il est important de retenir que c’est la première fois que nous mesurons, dans un échantillon représentatif de la population étudiant à l’université, l’utilisation de substances pharmacologiques détournées de leurs usages initiaux (médicaments) ou de drogues illégales pour tenter d’améliorer ses performances avant un examen ou un concours. Et le résultat est que près de 4 % des étudiants en ont déjà consommé au moins une fois au cours de leur vie.

La prise de tels produits est-elle liée au stress, à la dépression ? Les étudiants sont-ils sous pression ?

Yannick Morvan et Fabien Gierski : Deux phénomènes semblent co-exister : dans certains cas la consommation est effectivement associée à des niveaux élevés de stress, d’anxiété et parfois également de dépression. Oui, les étudiants sont sous pression, par exemple ces derniers se distinguent de la population générale dans les cas de dépression par une fréquence plus importante des sentiments de dévalorisation.

Il s’agit en effet d’une période de vie difficile sur le plan psychologique marquée par des enjeux importants tant sur le plan professionnel que sur le plan personnel. Ils construisent leur trajectoire de vie future. Ils sont aussi trop souvent dans des situations de précarité. Tout cela génère du stress qui les rend notamment plus vulnérables à l’usage de substances. Il s’agit de faire dace au stress, de le soulager ou de « décompresser ».

Mais au contraire, d’autres étudiants vont bien mais expérimentent l’usage de substances dans un but récréatif. Le problème est que toutes ces substances (alcool, cannabis et psychostimulants) peuvent avoir des effets dépresseurs sur le long terme et aussi conduire les étudiants dans une spirale addictive. Au-delà des risques immédiats liés à la consommation de substance, le risque d’évolution vers un trouble de l’usage de substance est bien réel, comme celui d’apparition d’autres problématiques psychologiques ou psychiatriques comorbides.

Vos travaux soulignent que 30 % de la population estudiantine aurait renoncé à des soins médicaux pour des raisons financières. Pourtant, l’accès aux services de santé est gratuit. Comment l’expliquer ?

Doriane Mignon, doctorante à l’université Paris-Dauphine : L’accès aux services de santé n’est pas entièrement gratuit en France, sauf pour certaines populations. Il existe des restes à charge qui sont plus ou moins élevés selon le type de soins. Par exemple, le prix d’une consultation chez un médecin généraliste conventionné secteur 1 est de 25 euros. La Sécurité sociale rembourse à hauteur de 70 %, c’est-à-dire 16,5 euros. Si la personne n’a pas de mutuelle – c’est le cas de 7 % des étudiants, tandis que 7 % ne savent pas s’ils en possèdent une –, il lui reste donc 6,5 euros à verser.

Les soins dentaires et les équipements optiques sont peu pris en charge par la Sécurité sociale et provoquent davantage de reste à charge, plus ou moins remboursés par les mutuelles. Une visite chez un spécialiste qui pratique des dépassements d’honoraires (conventionné secteur 2) peut coûter très cher si la couverture complémentaire ne rembourse pas les dépassements.

Enfin, le patient doit avancer l’argent, et ne sera remboursé qu’ultérieurement. Cette contrainte de liquidités peut entraîner des renoncements aux soins pour raisons financières.