« La tournée de novembre va être un bon test », estime Baptiste Serin (deuxième en partant de la gauche), ici le 25 novembre 2017 à l’U Arena de Nanterre, lors de France-Japon. / FRANCK FIFE / AFP

On a bien recompté. Entre la question et la réponse, huit bonnes secondes. Comment définir, à ce jour, le jeu de l’équipe de France de rugby ? « Comme dans la plupart des clubs », élude Camille Lopez, après mûre réflexion. « Sur le système offensif, il y a beaucoup de similitudes, poursuit l’ouvreur clermontois. Même sur le système défensif. » Oui, mais encore ? Il faut s’attendre à « un jeu de mouvement, structuré », promet le troisième-ligne castrais Mathieu Babillot, évasif.

Dans l’auditorium du Centre national de rugby, à Marcoussis (Essonne), les journalistes cherchent encore à comprendre, en ce début novembre. Les joueurs aussi, sans doute, tant cette équipe avance sans certitudes. La sélection nationale dispose de près d’un an avant la Coupe du monde 2019 pour se trouver, à la fois dans sa composition et dans ce qu’elle peut « produire ». Joli casse-tête japonais. Dix mois et onze matchs de chauffe, à commencer par les trois tests de cette tournée d’automne.

Samedi 10 novembre, les Bleus débuteront contre l’adversaire a priori le plus costaud du mois : ils recevront l’Afrique du Sud, à Saint-Denis, dans un Stade de France qui s’annonce loin d’être plein. Ensuite, le 17, direction le stade Pierre-Mauroy de Villeneuve-d’Ascq (Nord) contre l’Argentine. Puis retour en terrain dionysien contre les Fidji, le 24.

« Repousser nos limites »

De tout cela, il faudra bien tirer quelque chose, veut croire Baptiste Serin : « La tournée de novembre va être un bon test. » « Face à ces équipes-là, on va pouvoir bien se jauger et essayer de repousser nos limites », espère le demi de mêlée de Bordeaux-Bègles. Le capitaine, Guilhem Guirado, parle d’un « mois révélateur ». Un mois de Schrödinger, pour faire de la physique quantique de comptoir. Soit le XV de France se redresse sur ses pattes dès maintenant, soit il conforte les pessimistes qui prédisent une élimination mortifère dès le premier tour de la prochaine Coupe du monde. « Il y a toujours ce côté mystérieux, poursuit le talonneur toulonnais, de savoir si on va être au rendez-vous face à une nation de l’hémisphère Sud au rythme intense [comme l’Afrique du Sud]. »

Au Japon, l’équipe au coq se retrouvera dans la même poule que l’Argentine et l’Angleterre : la « poule de la mort », selon l’expression consacrée. Guilhem Guirado refuse pour l’instant de trop évoquer l’échéance en public. Dans le vestiaire aussi, à l’en croire : « En aucun cas je n’en parlerai avant le match contre l’Afrique Sud. Ce serait se perdre complètement que de parler maintenant de la Coupe du monde, un objectif très lointain », assure-t-il.

Dans l’immédiat, et sans donner de chiffres précis, Mathieu Bastareaud pense plutôt à réussir les trois matchs qui viennent. La chose passe par « des victoires, tout simplement ». « Cela fait pas mal de temps qu’on parle de l’engagement, de l’état d’esprit du groupe, mais on n’est jugé que par les résultats. Ça fait partie du “business”… » Alors, entre une victoire pas belle à voir et une jolie défaite, le trois-quarts centre de Toulon a l’honnêteté de trancher : « Bien sûr que la manière est hyper-importante, mais ça ne me dérange pas de gagner un match 3-0 plutôt que de perdre 41-40 avec du beau jeu. »

Pour avoir longtemps souffert de ses gamberges, Baptiste Serin sait trop l’importance de la gagne : « Quand les victoires vont s’enchaîner, ça va peut-être nous donner plus de confiance, plus de liberté. » Le joueur pense à un match en particulier. Ce fameux nul, à tous égards, contre le Japon (23-23). Un bon exemple, selon le no 9 bordelais (et futur Toulonnais), de match disputé « la peur au ventre, les jambes qui tremblent, et tu vois le résultat. Alors que si tu arrives avec un peu de confiance sur ce match, tu le gagnes neuf fois sur dix ».

Ce soir de novembre 2017, le XV de France disputait son ultime match avec Guy Novès pour entraîneur. Un mois plus tard, la Fédération française de rugby (FFR) limogeait son sélectionneur national à mi-parcours. Sans respecter la parole donnée, et surtout sans lui laisser le temps de développer un projet sur le long terme, au prétexte de résultats insuffisants : seulement sept victoires, treize défaites et un match nul en deux ans. Depuis, l’affaire se poursuit aux prud’hommes.

A ce jour, le bilan de son successeur reste également négatif : depuis sa prise de fonctions, Jacques Brunel est à deux victoires et six défaites en 2018. Dont trois échecs logiques au mois de juin lors d’une tournée en Nouvelle-Zélande, pour ces Bleus décidément aux antipodes des All Blacks, doubles champions du monde en titre.

« Trouver une colonne vertébrale »

Avec un peu plus de recul, le nouveau sélectionneur analyse aujourd’hui « son plus gros problème » : « C’est de ne pas pouvoir stabiliser un axe central de notre équipe, notamment pour la charnière, dont on sait l’importance qu’elle peut avoir. Notre objectif principal sera de trouver cette colonne vertébrale pour l’équipe et de la maintenir, d’avoir une stabilité là-dessus. »

Dans l’idéal, le XV de France aurait bien aligné une charnière clermontoise : Camille Lopez à l’ouverture, Morgan Parra en demi de mêlée… jusqu’à ce qu’une blessure à un poignet empêche le second. « J’ai perdu Morgan », résume le premier, qui lui-même avait manqué la tournée de novembre 2017, pour cause de tibia fracturé.

Comme Parra, quatre autres joueurs convoqués pour la tournée à venir ont déjà dû déclarer forfait avant même le début : Bernard Le Roux, Wesley Fofana, Rémi Lamerat et Uini Atonio. Ce qui fait beaucoup, sur un groupe de trente et un. Trop, beaucoup trop, pour qu’il s’agisse d’une simple guigne. L’explication est aussi structurelle : le rugby français esquinte de plus en plus ses joueurs, à force de les mobiliser en club comme en sélection nationale.

Jacques Brunel a tout de même trouvé des joueurs valides à titulariser contre l’Afrique du Sud. Composition encore expérimentale. Ce XV-là se présentera avec quatre joueurs en pleine phase d’apprentissage : les centres Geoffrey Doumayrou, Damian Penaud (qui jouera ailier, pour l’occasion), le deuxième-ligne Arthur Iturria (testé en troisième-ligne), et le pilier Cedate Gomes Sa. Chacun compte moins de dix matchs en sélection.

Jamais encore sélectionnés avec leurs pays d’origine, le Sud-Africain Paul Willemse (Montpellier) et le Fidjien Alivereti Raka (Clermont) auraient volontiers chanté La Marseillaise, eux aussi. D’après le quotidien L’Equipe, Jacques Brunel comptait sur eux dès cette tournée de novembre. Mais « il faut attendre qu’ils aient le passeport français », a finalement déclaré Bernard Laporte, le président de la FFR. A croire que le XV de France, pour l’heure seulement 8e au classement mondial, tâtonne jusque dans les bureaux préfectoraux de l’Hérault et du Puy-de-Dôme.