Des manifestants demandent que la lumière soit faite sur la mort Ghislaine Dupont et Claude Verlon, à Paris, le 13 janvier 2017. / BERTRAND GUAY / AFP

Cinq années ont passé. Pour les proches de Ghislaine Dupont et Claude Verlon, les deux envoyés spéciaux de Radio France internationale (RFI) tués le 2 novembre 2013 au Mali, la question principale demeure. Pour quel mobile ont-ils été enlevés à Kidal, dans le nord du pays, puis exécutés quelques instants plus tard à une dizaine de kilomètres de la ville ?

S’agit-il un rapt opportuniste qui a mal tourné après une défaillance du véhicule des ravisseurs, comme semble le privilégier l’enquête française ? Le chef présumé du commando, Baye Ag Bakabo, cherchait-il à racheter par cet enlèvement une dette contractée auprès d’Abdelkrim Al-Targui, l’émir d’une katiba affiliée à Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) ? Existe-t-il un lien entre ce drame et la libération contre rançon, quatre jours plus tôt, des otages d’Arlit, au Niger ?

Faire parler les téléphones

Les enquêtes ouvertes en France et au Mali ont permis d’identifier les très probables quatre ravisseurs et meurtriers de la journaliste et du technicien de reportage, deux commanditaires du rapt, ainsi qu’une vingtaine d’individus qui pourraient être impliqués à des degrés divers. Parmi les six principaux suspects, trois seraient encore vivants.

Si Abdelkrim Al-Targui a été éliminé par les forces françaises en mai 2015, Sedane Ag Hita, l’autre commanditaire présumé, est toujours en fuite, tout comme Baye Ag Bakabo, qui circulerait encore dans la zone. A ce jour, aucun mandat d’arrêt n’a été lancé, « faute d’état civil complet » des suspects, a expliqué le magistrat instructeur de l’enquête française, Jean-Marc Herbaut, à des parties civiles étonnées, jeudi 8 novembre.

Le juge Herbaut a également fait savoir lors de cette rencontre qu’il escomptait encore faire parler les trois téléphones récupérés dans le véhicule du commando. Ceux-ci contiennent près de 115 000 communications, avec 4 000 numéros de téléphone, à éplucher par les enquêteurs de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), d’après les fadettes transmises par Orange Mali. En revanche, l’opérateur Malitel n’a communiqué quasiment aucune des siennes.

Par ailleurs, l’expertise menée par le juge français serait venue démentir « toute activité entre le 23 octobre et le 2 décembre 2013 » sur l’ordinateur personnel de Ghislaine Dupont, alors qu’un reportage de France 2 affirmait en janvier 2017 que celui-ci avait été piraté le jour de la mort de la journaliste. « Il faudrait une contre-expertise », estime Christophe Boisbouvier, ami et collègue des deux défunts, qui considère que cinq ans après les faits, « les avancées de l’enquête sont timides ».

« Petites phrases en off »

A ce jour, aucun magistrat français ou malien ne s’est rendu à Kidal pour y approfondir les investigations, en raison de l’insécurité qui perdure dans la zone. Mais pour les parties civiles, le principal frein à la manifestation de la vérité se trouve dans l’utilisation du secret défense. « 40 % des documents classés “secret défense” demandés par la justice n’ont pas été déclassifiés. Parmi ceux transmis, beaucoup sont caviardés, mais le juge estime que c’est nécessaire pour protéger les sources et les militaires », s’inquiète un proche des victimes.

Marie Dosé, l’avocate de l’association des Amis de Ghislaine Dupont et Claude Verlon, a déposé une demande d’audition de l’ancien président François Hollande et devrait faire de même pour Bernard Bajolet, l’ancien directeur de la DGSE, les renseignements extérieurs, lundi 12 novembre.

En cause : une information lâchée par l’ex-chef de l’Etat en décembre 2013, puis confirmée par Bernard Bajolet à un journaliste de RFI, et qui n’apparaît toujours pas dans le dossier judiciaire. « Le président m’avait alors indiqué qu’une conversation avait été interceptée, dans laquelle ce qui ressemblait à un commanditaire reprochait à un membre du commando d’avoir “détruit la marchandise”. En clair, d’avoir tué les otages », relate Christophe Boisbouvier. Or cette écoute n’a toujours pas été versée à l’instruction.

Si François Hollande a assuré dans un récent entretien accordé à RFI que dans cette affaire, « il n’y a pas eu de raison d’Etat » ni d’« intention de cacher quoi que ce soit », « leur audition permettra de fixer les choses sur procès-verbal », estime Marie Dosé : « Nous ne pouvons pas nous contenter de petites phrases échangées en off avec des journalistes. » Et l’avocate de conclure : « Nous constatons avec beaucoup d’amertume que dans cette affaire, le secret défense est l’instrument le plus efficace du silence institutionnel. »