L’économie allemande aime défendre sa spécificité. Dix ans après la chute de la banque américaine Lehman Brothers, les avis divergent encore outre-Rhin sur ce que doit être une banque. Les uns estiment qu’un bon système bancaire se compose de quelques grands établissements privés de dimension internationale, capables de dégager des marges importantes, sur le modèle anglo-saxon.

C’est le cas de la Deutsche Bank et de la Commerzbank, qui cependant ne se sont jamais vraiment remises du choc de la crise financière. En restructuration permanente, elles se cherchent actuellement un modèle économique. La Commerzbank n’a toujours pas remboursé à l’Etat sa participation forcée par la déroute de 2008.

« Trois piliers »

D’autres plaident pour le maintien, à côté de ces grandes banques de taille mondiale, d’un Mittelstand bancaire : soit des caisses d’épargne publiques (Sparkassen), soit des banques coopératives, ces établissements au rayon ­d’action limité à une région, qui distribuent du crédit aux ménages et financent l’économie réelle. Elles sont considérées comme un élément du succès des industries de taille moyenne qui font la force du « made in Germany ». Qui étudie le système allemand – dit « à trois piliers » – se rendra vite compte de cette dialectique qui traverse la doctrine ­bancaire.

« La crise a renforcé mon envie de travailler pour une finance où la priorité est le développement de l’économie réelle. » Christopher Rossmann, employé à la caisse d’épargne de Dillenburg

Elle s’articule autour de deux questions essentielles autant qu’existentielles : « A quoi sert une banque ? » et « Combien d’argent doit-elle gagner ? » Les débats sont parfois vifs, autant dans la finance et les entreprises que dans l’enseignement. Etudiants compris. « J’ai conscience de faire partie d’une minorité : j’appartiens à ceux qui pensent qu’il est bon pour l’économie d’avoir ce système à trois piliers, explique Harry Schmidt, professeur de ­finance à l’université Goethe de Francfort, l’une des plus prestigieuses du pays. Ce modèle nous a protégés de beaucoup de conséquences très graves de la crise financière. »

De fait, la crise de 2008 a relativement épargné l’économie allemande. Dès 2010, l’industrie est repartie, et le pays n’a pas connu de resserrement massif du crédit. Contrairement aux banques engagées sur les marchés internationaux, les Sparkassen et les banques coopératives locales ont ­continué à ­accorder des prêts aux entreprises de taille moyenne. Dans le secteur public, les seules banques ayant souffert de la crise sont les Landesbanken, établissements qui ont longtemps fait office de bras financier des Länder, et qui sont en train de se regrouper.

« Il y a des différences idéologiques, décrypte le professeur Schmidt. Certaines personnes sont convaincues que le modèle d’une grande banque détenue par de nombreux actionnaires est meilleur. Je pense que c’est un mythe. Si on regarde l’histoire des quatre-vingt dernières années, l’expérience montre que, prises en groupe, les banques publiques et coopératives ne sont pas moins rentables que les grandes banques privées cotées en Bourse, dont les chiffres sont bien moins stables dans le temps. Mais bien sûr, le modèle n’existe pas dans les livres de théorie bancaire américains… »

Concurrence extrême

Cette analyse ferait presque sourire Sascha Steffen, professeur de finance à la Frankfurt School of Finance and Management, une célèbre école de commerce privée. « Il y a un gros lobbying de la part des Sparkassen pour défendre leur modèle, qui me semble dépassé, juge-t-il. Elles ont très bien fonctionné quand les taux d’intérêt étaient élevés, et parce que nous avons d’excellentes entreprises de taille moyenne. Maintenant que les taux sont faibles, le modèle est en perte de vitesse. Dans dix ans, la plupart de ces banques auront disparu. »

Toutes les banques allemandes, privées comme publiques, souffrent de la concurrence extrême sur le marché ­allemand et de coûts fixes importants. « Les banques américaines sont nettement en avance sur les nouvelles technologies, souligne Sascha Steffen. Leur coût de personnel sur chaque euro ­gagné est de l’ordre de 50 centimes, et non de près de 90 centimes, comme ici. La conséquence, c’est que les banques étrangères font concurrence aux allemandes sur leur propre marché. »

Le débat n’est donc pas tranché. Mais le marché étant roi, les étudiants désireux de travailler en Allemagne dans la finance ou en entreprise se doivent de connaître ces différences de culture. A Francfort, l’université Goethe, avec 5 300 étudiants dont 900 étrangers, continue à proposer un cours sur la spécificité bancaire allemande, toujours bien fréquenté. Ceux qui n’y ont pas été sensibilisés découvrent plus tard son poids dans le Mittelstand allemand, encore très marqué par l’idée d’un capitalisme familial et responsable, ancré dans une région.

« Lien de proximité »

« Quand j’ai cherché mon stage de fin d’études, je voulais travailler chez Deutsche Bank. Pour moi, c’était la ­référence », raconte Claire, une Française entrée chez DB juste après ses études sur le campus de l’ESCP Europe à Berlin, en 2009. Une décennie plus tard, confie-t-elle, « au contact avec les clients, les entreprises de taille moyenne, j’ai constaté combien elles restaient très attachées à leur Sparkasse. Le lien de proximité avec le banquier était primordial ».

Pour continuer à faire vivre leur ­modèle face à l’enseignement anglo-saxon, les Sparkassen allemandes se sont dotées voici quinze ans de leur propre établissement de formation. L’école supérieure (Hochschule) du ­réseau Sparkasse, à Cologne, fondée en 2003, assure la formation continue des salariés des banques publiques, et finance ses propres travaux de recherche. Elle délivre quatre diplômes de ­bachelor et trois masters, dont deux MBA, reconnus par l’Etat. Elle compte 830 étudiants.

« On a besoin d’institutions qui pratiquent une politique d’intérêt général, tranche Bernd Heitzler, recteur de l’établissement. L’école supérieure du groupe Sparkasse nous ­permet d’enseigner la spécificité de ­notre modèle de façon plus efficace que les universités ou les écoles de commerce, où l’enseignement est beaucoup plus orienté sur les marchés de capitaux. » Christopher Rossmann, 31 ans, employé à la caisse d’épargne de Dillenburg, un canton rural de Hesse, où il a commencé comme apprenti, termine son MBA à la Hochschule du groupe Sparkasse. « La crise a renforcé mon envie de travailler pour une ­finance où la priorité est le développement de l’économie réelle et d’une ­région à long terme, affirme-t-il. Le risque, je le vois plutôt du côté des innovations numériques, des néobanques ou de la blockchain. Et là, nous ne sommes pas moins bien placés que les banques cotées, bien au contraire. »

Des suppléments et un salon du « Monde », les 10 et 11 novembre, pour choisir sa grande école

La 13e édition du Salon des grandes écoles (SaGE) aura lieu samedi 10 et dimanche 11 novembre à Paris, aux Docks, Cité de la mode et du design (13e arrondissement), de 10 heures à 18 heures. Il est précédé de la publication de nos suppléments dédiés aux écoles d’ingénieurs (dans Le Monde daté du mercredi 7 novembre et en ligne en suivant ce lien ) et aux écoles de commerce (dans Le Monde daté du jeudi 8 novembre et sur Le Monde.fr Campus ici).

Plus de cent cinquante écoles de commerce et d’ingénieurs, IAE, IEP, écoles spécialisées, prépas seront représentés lors du salon, permettant d’échanger sur les différents programmes et leur accessibilité (post-bac, post-prépa ou après un bac +2, +3 ou +4). Lycéens, étudiants et parents pourront assister à des conférences thématiques animées par des journalistes du Monde Campus. Une équipe de vingt « coachs » sera à leur disposition pour les conseiller, les aider à définir leur projet d’orientation, préparer les concours, rédiger leur CV...

L’entrée du SaGE est gratuite, la préinscription en ligne est conseillée pour accéder plus rapidement au Salon. Liste des exposants et informations pratiques sont à retrouver sur le site Internet du SaGE.