Le 29 février 2016, Gianni Infantino et le procureur Rinaldo Arnold participaient à un match amical, au siège de la FIFA. / VALERIANO DI DOMENICO / AFP

Candidat à sa réélection à la tête de la Fédération internationale de football (FIFA), en juin 2019, Gianni Infantino se serait certainement passé des « Football Leaks ». Mis en cause par cette série d’enquêtes réalisées à partir « de plus 70 millions de documents » par le consortium European Investigative Collaborations, le dirigeant suisso-italien a reçu plusieurs médias, mercredi 7 novembre, au siège de la FIFA, à Zurich, afin de marteler « qu’il n’y avait rien d’illégal ni de contraire » au code éthique de l’instance dans ce qui lui est reproché. Petit tour d’horizon de ce dossier.

  • Qu’est-il reproché à Infantino ?

L’un des principaux griefs faits à l’ex-secrétaire général de l’Union des associations européennes de football (UEFA) et ancien bras droit de Michel Platini est sa proximité avec le Suisse Rinaldo Arnold, procureur en chef de la région du Haut-Valais, avec l’aide duquel il a pu rencontrer secrètement Michael Lauber, procureur général du ministère public de la Confédération helvétique (MPC), chargé des procédures en lien avec la FIFA.

  • Pourquoi les liens Infantino-Arnold sont-ils critiqués ?

Originaires de Brigue, les deux juristes se fréquentent depuis l’adolescence et partagent une passion pour le ballon rond. Selon les « Football Leaks », le patron du foot mondial (depuis février 2016) s’est révélé être un ami généreux.

Arnold a été invité par la FIFA à assister à plusieurs matchs de la Coupe du monde 2018, en Russie. Il a aussi été convié à assister au congrès de l’organisation, à Mexico, en mai 2016. Sa famille a obtenu des billets pour la finale de la Ligue des champions, la même année.

En mars 2016, Rinaldo Arnold a organisé une rencontre informelle et secrète entre Gianni Infantino et Michael Lauber, procureur général du ministère public de la Confédération helvétique. Depuis l’opération anticorruption lancée par la justice américaine, le 27 mai 2015, à l’hôtel Baur au Lac de Zurich, M. Lauber a ouvert une vingtaine de procédures en lien avec la Fédération internationale et est à l’époque en première ligne lors du « FIFAgate ».

En septembre 2015, une procédure pénale a été ouverte contre le Suisse Sepp Blatter, à la tête de la FIFA depuis 1998, dans l’affaire du paiement de 2 millions de francs suisses (1,8 million d’euros) fait, en 2011, à Michel Platini. Lequel a été entendu comme témoin assisté avant d’être mis hors de cause par le MPC, en mai 2018.

  • Pourquoi un rendez-vous entre Infantino et le procureur général Lauber a-t-il lieu en mars 2016 ?

Le rendez-vous entre MM. Infantino et Lauber a eu lieu à l’hôtel bernois Schweizerhof, le 22 mars 2016, cinq jours après l’ouverture d’une procédure pénale contre le Français Jérôme Valcke, ex-secrétaire général de la FIFA (2007-2015), pour des « soupçons de gestion déloyale multiple et d’autres délits ». La FIFA s’était portée partie civile.

« La rencontre d’une heure a servi à la qualification générale du complexe d’enquête sur le football par le procureur général Lauber ainsi qu’à la clarification de la position de la FIFA, tant comme plaignant que comme partie lésée, explique le MPC, contacté par Le Monde. Un échange direct avec des parties à la procédure est tout à fait possible. Afin de garantir l’indépendance des procédures pénales, de telles rencontres se font en principe au niveau supérieur. »

« Après des changements de personnel dans des fonctions dirigeantes, un échange ponctuel peut permettre une stabilité dans le sens d’une direction efficace de la procédure, poursuit le parquet suisse. En lien avec le complexe d’enquête sur le football, une telle rencontre a eu lieu fin février 2016 sur demande de la FIFA, après l’élection de Gianni Infantino comme nouveau président de la FIFA. »

Le MPC confirme que « l’intermédiaire » Rinaldo Arnold était présent, « sur invitation de la FIFA », à cet « état des lieux » après avoir transmis au parquet « la demande de rencontre ». « La personne du Haut-Valais, qui a déjà été mentionnée dans les médias, n’avait et n’a pas de droit de partie dans la procédure pénale du MPC en lien avec le complexe d’enquête sur le football », assure le parquet.

  • Pourquoi une nouvelle rencontre Infantino-Lauber se tient-elle en avril 2016 ?

Le 22 avril 2016, une deuxième rencontre de MM. Infantino et Lauber a eu lieu au restaurant Au premier, à Zurich. « Cette rencontre d’une heure a servi à clarifier des questions spécifiques à la procédure », affirme le MPC. Outre le chef de la division criminalité économique du parquet suisse, Olivier Thormann (depuis suspendu par le MPC), le directeur juridique de la FIFA, Marco Villiger, a également assisté à ce rendez-vous.

Quinze jours plus tôt, le 6 avril 2016, le MPC a perquisitionné le siège de l’UEFA à Nyon. Le patronyme du président de la FIFA vient alors d’être cité dans les « Panama papers », qui ont révélé un contrat douteux pour les droits audiovisuels. Ledit contrat a été signé par M. Infantino avec une société offshore. Le bureau du procureur fédéral a ouvert une enquête contre X.

Après la perquisition, M. Infantino contacte M. Arnold. Lequel appelle le bureau du procureur fédéral pour recueillir des informations. « Si tu veux, je peux essayer de faire en sorte que le MPC diffuse un communiqué de presse qui expliquerait qu’il n’y a pas de procédure contre toi », écrit-il, dans la foulée, au patron de la FIFA.

Selon les « Football Leaks », le procureur en chef du Haut-Valais propose d’accompagner M. Infantino à une réunion avec les enquêteurs fédéraux et d’examiner « s’il convient ou non de porter plainte pour diffamation ». Un mois plus tard, dans un e-mail, M. Arnold soumet – vainement – sa candidature à M. Infantino comme « adjoint » de la secrétaire générale de la FIFA, la Sénégalaise Fatma Samoura.

En janvier 2018, le MPC rend une ordonnance de non-lieu dans l’affaire du contrat de télévision douteux.

  • Quelles suites la révélation de ces rencontres peut-elle avoir ?

L’affaire est en passe de déclencher une tornade politique en Suisse. « La manière dont les rencontres entre Michael Lauber et Gianni Infantino se sont déroulées sent le “Filz” [copinage] », a déclaré Luzi Stamm, conseiller national (UDC) dans le SonntagsBlick. Plusieurs élus souhaitent auditionner M. Lauber.

De son côté, la justice suisse a « décidé de confier à un procureur extraordinaire la mission d’établir précisément les faits et de déterminer s’ils seraient susceptibles de relever ou non du droit pénal ».

M. Infantino, lui, nie tout mélange des genres ou collusion d’intérêts et se dit « très heureux d’avoir rencontré M. Lauber quand [il est] devenu président de la FIFA, car la FIFA était impliquée dans plusieurs procédures, aussi bien directement qu’indirectement ».

« J’ai remercié M. Lauber et j’ai aussi remercié le département de la justice américaine pour leur travail car, sans eux, cette organisation n’aurait jamais été nettoyée, développe-t-il dans une réponse envoyée au Monde. Je ne vois vraiment pas ce qu’il y a de mal à ce que le nouveau président de la FIFA, après tout ce qu’il s’est passé, essaye de rencontrer le procureur général, qui est chargé de ces procédures et de l’assurer de son soutien et de son aide. »

Contacté par Le Monde, Sepp Blatter, encore sous le coup d’une procédure pénale, n’a pas masqué son étonnement en apprenant les rencontres entre Lauber et son successeur. « Comme je suis toujours impliqué par le MPC, mon commentaire se résume à : je trouve cette situation très étrange », a prudemment réagi le roi déchu.