Mélange de séquences mémorielles et de moments très politiques, polémique concernant le maréchal Pétain, coût du déplacement… Cédric Pietralunga, journaliste au service politique du Monde, a suivi Emmanuel Macron lors de son « itinérance mémorielle ». Il a répondu à vos questions lors d’un tchat.

Dedrak : pouvez-vous expliquer le souhait de l’Elysée de mélanger dans ce déplacement les visites sur les sites de bataille et sur le terrain économique ?

L’Elysée a effectivement conçu cette « itinérance mémorielle » dans un double objectif : commémorer le centenaire de la guerre 14-18 mais aussi expliquer la politique et les réformes du gouvernement. Pour cela, le chef de l’Etat a entrecoupé les séquences « mémorielles » de son programme (arrêts à Morhange, aux Eparges, à Verdun, à Notre-Dame-de-Lorette) par des visites d’un Ehpad, d’un centre social, d’entreprises (Novasep, PSA, Renault). Selon l’Elysée, il fallait « lier les douleurs d’hier à celle d’aujourd’hui ».

Copyright : En voulant célébrer un hommage à Pétain, le président devait se douter qu’il allait déclencher un tollé. Est-ce une erreur de communication d’après vous ?

Emmanuel Macron n’avait pas l’intention de parler du maréchal Pétain lors de son itinérance. Il y a été contraint par une question posée par un journaliste. Mais la façon dont il y a répondu, en quelques minutes sur un trottoir et avec des termes pas nécessairement pesés (il a parlé de Philippe Pétain comme d’un « très grand soldat » à qui il était « légitime » de rendre hommage) a certainement pesé dans la polémique, qui a été immédiatement lancée. A l’Elysée, certains conseillers reconnaissent que ce n’était pas les meilleures conditions pour expliquer la « pensée complexe » du président à propos de l’homme de Verdun et de Vichy.

Maxah : Comme beaucoup de gens je trouve insupportable la capacité des journalistes à monter de fausses histoires ou polémiques pour vendre du papier au lieu d’être constructifs sur des sujets de fond. Dans ce cadre, pouvez-vous nous expliquer pourquoi vous écrivez, dans un article : « La faute à Emmanuel Macron, qui a alimenté, tout seul, une polémique sur Philippe Pétain, général pendant la première guerre mondiale, devenu maréchal le 21 novembre 1918. » En quoi, a-t-il alimenté la polémique  ?

Au-delà du compte rendu factuel de ses déplacements, les journalistes essaient de contextualiser les gestes et déclarations du chef de l’Etat. Poser une question sur le maréchal Pétain, au cours d’une itinérance consacrée à la guerre 14-18 et alors qu’un hommage aux maréchaux français dont Pétain devait être organisé samedi aux Invalides (il concernait initialement les huit maréchaux de 14-18, avant que l’Elysée le réduise aux seuls cinq enterrés aux Invalides), est légitime. Ce sont les termes choisis par Emmanuel Macron pour justifier cette cérémonie qui ont déclenché la polémique, pas la question.

Rodan : Vous ne répondez pas à la question de Maxah. Macron a tenu les mêmes propos sur Pétain que tous les présidents de la Ve République. Pourquoi alors une telle polémique ?

Plusieurs présidents ont effectivement tenu les mêmes propos sur Pétain, en distinguant le héros de Verdun du traître de Montoire. Mais ce n’est plus le cas depuis Jacques Chirac. Selon certains historiens, la perception de Pétain par les Français a en effet évolué et ce qui était accepté hier ne l’est peut-être plus aujourd’hui. Je vous invite à lire cet entretien avec l’historien Laurent Jolly, qui explique cela très bien.

Thierry : Entre les péripéties de cette « itinérance mémorielle » et son traitement par la presse, on a l’impression que, finalement, l’hommage aux poilus et aux peuples éprouvés pendant cette époque importe peu…

Les séquences « mémorielles » du périple du chef de l’Etat, pour importantes qu’elles ont été – je pense notamment à la panthéonisation de Maurice Genevoix et de « Ceux de 14 » annoncée mardi aux Eparges –, ont été effectivement percutées par plusieurs polémiques. En répondant mercredi à une question sur l’hommage que l’armée doit rendre le 10 novembre aux maréchaux de la Grande Guerre, dont Philippe Pétain, Emmanuel Macron a fait passer au second plan l’hommage aux poilus. De la même façon, la mise en scène de ses rencontres avec les Français, souvent tendues, perturbe la perception d’ensemble. La presse dans son ensemble et Le Monde en particulier, ont tenté de rendre compte des deux aspects de ce périple.

Frédéric : Cette « itinérance mémorielle » n’a-t-elle pas atteint un objectif contraire en montrant un président en décalage avec le peuple (polémiques sur le carburant, sur Pétain, sur l’économie de manière générale…) et qui est quelque peu détaché de la réalité ?

Seuls les prochains sondages pourront nous dire si les Français ont ou non apprécié cette séquence. Les contempteurs d’Emmanuel Macron disent voir dans ses bains de foule tendus la preuve que le chef de l’Etat est détaché de la réalité. Ses partisans, au contraire, défendent un président qui n’a pas peur d’aller au contact des Français et d’être « à portée de baffes ». Ce vendredi matin, Emmanuel Macron a en tout cas déclaré être « très heureux » de cette itinérance. « Je capte plein de choses, plein de messages, plein d’enseignements dont je ferai mon miel », a-t-il déclaré aux journalistes.

Shadok : J’ai bien compris que, pour ces élus, l’argent public ne compte pas. Mais quand même, ça va nous coûter combien ce périple mémoriel de Macron ?

L’Elysée n’a pas souhaité communiquer sur le coût de cette « itinérance mémorielle ». Mais la logistique a été impressionnante. Le convoi du chef de l’Etat comptait une vingtaine de véhicules. Plusieurs villes ont été bouclées lors de son passage, comme à Strasbourg et Pont-à-Mousson (Meurthe-et-Moselle). Le déploiement de forces de l’ordre, notamment de gendarmes mobiles, était important. Concernant son hébergement, Emmanuel Macron s’est néanmoins efforcé de dormir dans les préfectures. Seule exception : lundi soir, il a logé au château des Monthairons, un quatre étoiles meusien qui avait servi d’hôpital militaire lors de la Grande Guerre et où le compositeur Maurice Ravel fut un temps affecté comme ambulancier.