Lors de la marche blanche en hommage aux victimes des effondrements d’immeubles survenus à Marseille, le 10 novembre. / Claude Paris / AP

Une foule immense et recueillie a défilé, samedi 10 novembre après-midi à Marseille, dans un silence glaçant, à travers le quartier de Noailles aux façades décrépites, là où deux immeubles se sont effondrés, lundi, provoquant la mort de huit personnes, un bilan désormais définitif. Ils étaient huit mille selon la police, « une marée humaine », se félicitent les organisateurs.

En tête de cortège, les proches des victimes portent un drap blanc sur lequel on lit : « Noailles meurt, Marseille en deuil ». Les amis de Pape Maguette, un jeune Sénégalais, décédé dans l’effondrement du 65 rue d’Aubagne, brandissent sa photo, tandis qu’un de ses amis explique que le jeune homme avait rendez-vous le jour du drame « pour un nouveau logement ».

Une rose à la main, une pancarte à bout de bras pour dénoncer « l’incurie de la mairie », la colère le dispute à la tristesse chez les manifestants, pauvres et riches côte à côte. Le fossé n’existe plus entre un Nord de la ville qui cumule pauvreté, violence des réseaux de drogue et abandon des services publics, et un Sud riche et prospère.

Lors de la marche blanche en hommage aux victimes des effondrements d’immeubles survenus à Marseille, le 10 novembre. / Claude Paris / AP

Alain Scemama est venu s’installer récemment à Marseille pour sa retraite et Noailles est vite devenu l’un de ses QG : « J’y vais faire mes courses, humer l’ambiance, c’est le Marseille que j’aime ». Juste à côté de lui, Rachida se dit triste : « Ils ne méritaient pas de mourir juste parce qu’ils sont pauvres. Nous les pauvres, on vit tous les jours le rejet. Je le vis parce que je n’ai pas les vêtements qui attirent, parce que j’ai pas les moyens de recevoir ».

C’est un Marseille uni et solidaire qui, au passage du cortège sur le Cours Lieutaud, là où le bataillon des marins pompiers a installé ses postes de secours depuis une semaine, applaudit, remercie « ceux qui ont risqué leur vie dans les recherches ».

Soudain, un balcon chute

Des marins pompiers appelés à quelques dizaines de mètres du cortège pour secourir trois personnes légèrement blessées dans la chute d’un balcon au 20 boulevard Garibaldi. Un grand boum suivi d’un mouvement de panique, un effondrement qui résonne comme un nouveau mauvais coup porté à une municipalité, que les manifestants rendent responsable du drame et des logements indignes dans lesquels vivent 100 000 Marseillais.

Linda Chassaigne et sa colocataire tendent un drap blanc : « Ce n’est pas la pluie ». Un slogan en réponse aux premières explications données par Jean-Claude Gaudin, maire (LR) de Marseille, qui évoquait un automne particulièrement pluvieux comme cause du drame. Cette enseignante habite à quelques rues. Elle veut exprimer sa « grande colère face au mépris affiché par la municipalité, par les propriétaires ».

À 73 ans, Michelle ne marche presque plus, mais elle a tenu à défiler avec ses béquilles parce qu’elle a « la rue d’Aubagne au cœur », une rue qui a toujours été pauvre au plus loin de ses souvenirs, avec ses « vendeurs de noix et d’amandes ». « L’apéritif chez M. Bizot, la boulangère de la placette, c’est tous mes souvenirs, c’est une rue qui disparaît », déplore-t-elle.

Les députés (LRM) des quartiers Nord, Alexandra Louis et Saïd Ahamada, et, à un autre endroit, Jean-Luc Mélenchon, député (LFI) de la circonscription où s’est déroulée la catastrophe, défilent sans écharpes, sans commentaires.

« Gaudin démission ! »

Parfois, le silence est rompu par une vague d’applaudissements qui remonte le cortège. Renaud et Marie habitent Noailles, un quartier où la mixité sociale est ancrée. « Ce n’est pas normal, en 2018, que, dans la deuxième ville de France, des immeubles s’écroulent », dit Renaud. « Il y a des gens qui meurent dans ces immeubles mais le pire, c’est qu’il y a des gens qui y vivent », ajoute son épouse, qui avoue « des envies de révolution, que le peuple marseillais aille péter la mairie, là où il y a les rois qui boivent du chocolat ».

Mais la petite fille du couple les rappelle au drame, une fleur à la main : « Il faut parler d’El Amine ». El Amine, neuf ans, a perdu sa maman, il est dans la même école que la fillette, l’école Albert Chabanon, où sont scolarisés les enfants de Noailles, « classée en REP
alors qu’elle devrait être en REP plus »
, déplore Marie.

Devant la mairie ou tous les drapeaux sont en berne, un bâtiment aux allures de Bastille assiégée par la foule, la colère s’exprime : « Gaudin démission ! », « Gaudin en prison ! » ou encore « Gaudin assassin ! » Entourés par le « collectif du 5 novembre », un groupe d’associations et d’habitants du quartier créé après le drame, des proches des victimes prennent la parole.

Émotion et revendications

Juchée sur un poteau, micro à la main, la cousine d’une des victimes remercie les manifestants, y associant les marins-pompiers, les policiers : « Ça a été un drame humain. Ne les oubliez pas ». « Vivez pour eux, s’il vous plaît », implore une femme dans le mégaphone avant de fondre en larmes.

Ne rien oublier, c’est l’objectif que s’est fixé le « collectif du 5 novembre ». Kevin, son porte-parole, énumère les revendications des proches des victimes et des centaines d’habitants évacués des immeubles avoisinants. Il réclame un jour de deuil, la prise en charge des frais d’obsèques, y compris lorsqu’il faut rapatrier les corps à l’étranger, mais aussi des relogements dans des appartements pas à l’hôtel : « Nous voulons que les fleurs et les cierges que nous déposons ne soient pas enlevés. Il est inadmissible de voir des policiers en casque alors que nous essayons de faire notre deuil ».

Le collectif souhaite la création d’une cellule de crise, de soutien psychologique, juridique, plus de psychologues spécialisés à l’école Chabanon et d’assistantes sociales qui aillent visiter les personnes âgées isolées. Du temps aussi, « du temps pour que les habitants récupèrent leurs effets personnels », dans leurs domiciles.

Mais ce que revendiquent les habitants de Noailles, c’est « la vérité, la transparence sur les expertises déjà faites sur les immeubles. Sachez M. Gaudin, M. Macron, messieurs les bailleurs, nous n’oublierons jamais ». Le collectif veillera aussi à ce que la catastrophe « ne soit pas l’occasion pour dégager quiconque du quartier ».

Quelques instants avant le départ de la marche, le vice-amiral Charles-Henri Garié, commandant le bataillon des marins pompiers, annonçait la fin des recherches en raison de « la certitude qu’il n’y a heureusement plus aucune victime sous les décombres ».