Ce n’est pas nouveau, et même annoncé par tous les observateurs du secteur depuis l’apparition des appareils hybrides sans miroir, dès 2008 avec le Lumix G1 : le système reflex est en sursis. Popularisé au Japon à la fin des années 50 et repris par tous les fabricants professionnels dans les années qui ont suivi, le reflex, ce procédé haut de gamme de prise de vue à l’aide d’un ensemble de miroirs amovibles s’est imposé dans toutes les dimensions de la photo. Il n’avait pour seul concurrent que la visée télémétrique portée par Leica, un marché relativement faible en volume.

Tout a commencé à changer il y a une dizaine d’années, avec l’apparition d’un nouveau type d’appareils, dont le système de prise de vue fait l’économie du miroir en le remplaçant par un viseur électronique, qui va envoyer sur un écran ce que voit le capteur de l’image.

Visée reflex et visée « sans miroir ».

Ecrans miniaturisés, capteurs, processeurs… ces nouveaux appareils « hybrides » relèvent de l’électronique de pointe, et il n’est pas étonnant qu’ils aient redynamisé le secteur. Ainsi, Sony et Panasonic, pas vraiment des marques reconnues dans l’univers de la photo professionnelle, sont devenus en quelques années incontournables dans une compétition qui s’annonce féroce face aux ténors du marché que sont Nikon et Canon. D’autres constructeurs, comme Fujifilm ou Olympus, ont aussi très tôt investi ce terrain vierge, pour ne pas entrer en concurrence avec les acteurs historiques.

On peut s’étonner de ne pas voir d’autres constructeurs électroniques se lancer dans la course. Samsung, par exemple, qui avait fait une belle percée dans le secteur avec en point d’orgue en 2014 son NX1, un appareil qui reste une référence, a finalement délaissé les hybrides au profit de la photographie sur smartphone. Un choix compréhensible à l’époque, tant les conditions étaient alors peu favorables.

Un format encore imparfait il y a peu...

Les qualités requises pour que les hybrides fassent concurrence au reflex sont nombreuses, et plusieurs d’entre elles sont toujours perfectibles. Le principal écueil vient de la qualité des viseurs électroniques qui équipent les appareils. Alors qu’avec un miroir vous avez un reflet exact de la scène que vous visez, les écrans électroniques n’étaient jusqu’alors que peu fidèles, avec des résolutions insuffisantes et une latence dans le rendu très gênante lors des mouvements de l’appareil.

Les viseurs de nouvelle génération ont actuellement une résolution de 3,6 millions de pixels (pour le Z6 de Nikon, le X-T3 de Fujifilm, l’EOS R de Canon, l’A7R III de Sony, le Panasonic G9…). Et le « framerate » (le nombre d’images par seconde sur le viseur), qui permet d’atténuer la latence, est en constante progression. Le résultat, quand on expérimente les viseurs des nouveaux modèles, est bluffant, même si l’image reste moins naturelle qu’un reflet direct, avec des contrastes et des couleurs légèrement altérés.

L’autonomie de la batterie des « hybrides » est aussi en question. Fatalement, toute cette électronique embarquée est énergivore, et ces appareils photo d’un nouveau genre sont confrontés aux mêmes problèmes que les smartphones. Sur ce point, le reflex reste imbattable.

… qui semble arrivé à maturité

Mais sur d’autres aspects, les avantages de l’hybride et les expérimentations des pionniers sur ces appareils ont fini par balayer les réticences des plus frileux. La session 2018 de Photokina à Cologne, le plus grand salon photo mondial, en est la meilleure preuve. Ce sont pas loin d’une dizaine d’appareils de ce type qui sont présentés au public, avec des spécifications très haut de gamme, venant directement mordre sur le territoire des reflex.

La taille des capteurs en dit long. Ils sont pratiquement tous maintenant en plein format (24×36), avec même des excursions sur des formats plus grands encore, comme le Fujifilm GFX-R, qui fait suite au GFX-S en 2017, avec un format de 44×33, de quoi attirer les professionnels.

La taille, le silence et le poids des boîtiers hybrides : trois arguments auxquels les photographes, amateurs ou professionnels, sont de plus en plus sensibles.

Ce n’est pas le seul avantage d’un hybride, qui permet une économie de place : le système de miroir d’un reflex gonfle énormément la taille des boîtiers. Sa disparition permet aussi de réduire le « tirage » optique, c’est-à-dire la distance entre la lentille arrière de l’objectif et le capteur, encore une économie de place. Du coup, les hybrides deviennent aussi complètement silencieux puisqu’aucune pièce mécanique ne se met en mouvement (hors diaphragme), et il seront moins sujet aux vibrations créées par le mouvement du miroir. Sur le principe aussi, la cadence du mode rafale va augmenter.

La disparition du miroir dans les boîtiers hybrides permet la réduction du « tirage », la distance entre la lentille arrière de l'objectif et le capteur. Un gain de place, mais aussi un atout pour la photographie macro.

Un autre point positif de cette technologie réside dans la possibilité d’obtenir un rendu très juste de la photo prise par l’appareil. Le viseur restitue en effet l’image saisie par le capteur, avec tous les paramètres de réglages du boîtier (profondeur, balance des blancs, styles…), ce que ne peut pas aussi précisément faire un reflex.

Une adoption rapide et massive par tous les acteurs photos

La tendance générale du marché de la photo est remarquable. Les chiffres de vente des reflex au cours des années écoulées sont en baisse constante selon les données de la CIPA (Camera and Imaging Products Association), alors que les appareils « non-reflex » restent assez stables, et ont même eu tendance à augmenter en 2017.

Evolutions en volume des livraisons d’appareils photos numériques à objectifs interchangeables, reflex et non reflex, entre 2012 et 2017.

Un poids des statistiques qui a certainement dû jouer chez les deux principaux producteurs de reflex du marché que sont Canon et Nikon. Les deux marques avaient délaissé jusqu’ici le secteur de l’hybride, avec seulement quelques expériences non convaincantes, comme les Nikon 1 et Canon EOS M.

L’édition 2018 de Photokina a été un nouveau point de départ pour ces acteurs historiques, dans une compétition où un fabricant comme Sony a déjà cinq ans d’avance. Dans l’ensemble, la qualité de l’ensemble des boîtiers hybrides visibles au Salon de la photo de Paris, porte de Versaille (du 7 au 11 novembre), est déjà excellente.

Les Nikon z6 et z7, Canon EOS-R, Lumix S1/S1R, Fujifilm GFX-R... seront visibles au Salon de la Photo à Paris, du 8 au 12 novembre.

Nikon, avec ses deux modèles Z6 et Z7, a déjà comblé une partie de ce retard. Pour Nicolas Gillet, le directeur marketing et communication de Nikon France, cette présence tardive sur le marché hybride vient d’un désir d’exigence : « On a pris notre temps mais on avait besoin de fournir un boîtier de haute qualité. Le Z7 est un produit professionnel, qui répond aux besoins des pros mais aussi du grand public. » Mais pour l’heure, l’hybride n’a pas encore détrôné le reflex selon lui. « Je ne suis pas devin. Les hybrides auront un impact, mais c’est sur du moyen, long terme. Il y a encore toute une tranche de la population qui est réfractaire au changement, et pour beaucoup de gens le reflex est encore une demande. »

Chez Panasonic, qui a annoncé il y a un mois ses deux nouveaux fleurons plein format, les S1 et S1R, et qui a le premier investi dans ce format il y a dix ans avec le Lumix G1, le ton est différent quant aux attentes du public. « Je regarde la file d’attente pour le Z6 et celle sur les autres appareils et cela me semble évident, dit Eric Novel, le directeur général de Panasonic France. Je pense que dans les trois prochaines années sur le haut de gamme, le reflex aura été distancé, et la présence de Nikon et Canon est le signe qu’ils ont validé les choix technologiques faits par nos ingénieurs il y a dix ans. Ils ne peuvent pas faire autrement. »