Pour marquer les célébrations du centenaire de la signature de l’armistice du 11 novembre 1918, le label Arts & jardins - Hauts-de-France (somme des régions historiques que sont la Picardie, l’Artois et la Flandre) a conçu un concours ouvert aux paysagistes des principaux pays belligérants. A charge pour les équipes sélectionnées par un jury de créer des « jardins de la paix », petits cailloux hautement symboliques en regard des affrontements meurtriers de cette « Grande Guerre » qui devait être la « Der des ders ». Mais aussi signal d’optimisme alors que les nuages s’amoncellent sur une partie de l’Europe, nos voisins anglais eux-mêmes étant sur-le-point de desserrer les amarres qui arrimaient leur pays au continent.

Les « jardins de la paix », en images

Gilbert Fillinger, ancien directeur de la Maison de la culture d’Amiens et lui-même à l’origine du festival Art, villes & paysage, qui se déroule chaque année dans les hortillonnages d’Amiens, anime le label Arts & jardins - Hauts-de-France. Il semble pouvoir compter sur le soutien du président de la région, Xavier Bertrand, qui ne manque pas une occasion de rappeler que les terres du nord de la France, brutalisées par les conflits du XXe siècle et la désindustrialisation, ont des ressources, à commencer par un riche patrimoine historique et culturel. La création de ces « jardins de la paix » vise ainsi à ponctuer par des haltes paysagères, qui incitent à la réflexion, le parcours dès très nombreux visiteurs, scolaires, français ou étrangers, parfois venus de très loin pour essayer de comprendre de visu ce qu’a été cette guerre.

De Compiègne, près de la clairière où a été signé l’armistice qui mit fin aux combats sur le front occidental (mais qui allaient continuer sur différents fronts à l’est pendant encore de longues années), à Péronne, où se situe l’Historial de la Grande Guerre, en passant par Craonne, Le Quesnoy, Vimy, Notre-Dame-de-Lorette, Arras et Thiepval, douze jardins ont été aménagés. Leurs concepteurs : des paysagistes et des artistes venus des principaux pays impliqués (France, Allemagne, Royaume-Uni, Italie), mais aussi du Commonwealth ou du Maroc, qui alors n’était pas encore totalement « pacifié ». Le symbole ne manque pas de force quand des paysagistes retenus pour Compiègne ou le site de l’ancien village de Craonne sont d’origine allemande.

« Le Jardin du troisième train », aux abords de la Clairière de l’Armistice, près de Compiègne, du paysagiste Marc Blume (Allemagne), de l’artiste Gilles Brusset (France) et de l’architecte Francesca Liggieri (Italie), / L. JEDWAB/« LE MONDE »

Le caractère « inéluctable » de la première guerre mondiale, alimenté par l’exacerbation des nationalismes, a été combattu dès 1914 par une toute petite minorité de pacifistes ou d’internationalistes, qui le paieront souvent de leur vie – des deux côtés du Rhin, avant et après la guerre –, à commencer par les plus connus, Jean Jaurès et Rosa Luxemburg. Quand l’écrivain allemand Hermann Hesse trouvait, lui, l’apaisement et la rédemption dans le jardinage... en Suisse, avant d’écrire les superbes Brèves nouvelles de mon jardin. Signe que les temps ont changé, la manière de raconter la guerre a changé elle aussi, et les historiens – et les paysagistes – ont heureusement pris le pas sur les tribuns cocardiers ou revanchards.

Preuve en est la réintégration dans la mémoire nationale des fusillés pour l’exemple et des mutins de 1917, dont certains ont été réhabilités, ainsi que des fraternisations de Noël 1914 et de l’hiver 1915. Et aussi l’adoption consensuelle de la chanson de Craonne, dont la charge émotionnelle est toujours intacte, a fortiori quand elle est chantée sur les lieux mêmes des combats aussi tragiques qu’absurdes qu’elle dénonce. A cet égard, les trois « jardins de la paix » installés au-dessus des ruines de l’ancien village de Craonne revêtent une charge symbolique toute particulière. De même qu’à Vimy, dans le Pas-de-Calais, la beauté tragique du paysage « verdoyant », avec ses cratères d’obus enherbés et sa forêt de pins, impressionne-t-elle le visiteur qui se projette un siècle en arrière, assis sur le tronc taillé déposé dans leur jardin par de jeunes paysagistes canadiens.

Sur le site de Vimy, dans le Pas-de-Calais, où se déroulèrent d’âpres combats. / L. JEDWAB/« LE MONDE »

Mais des douze jardins conçus à l’occasion de ce centenaire, et aussi afin de le prolonger, celui qui retient l’attention pour ses intentions a été réalisé par Helen et James Basson, un jeune couple de paysagistes anglais, à Thiepval, dans la Somme. Ses plantations, frêles, sont encore protégées par tout un réseau de poteaux qui rappellent délibérément les tranchées. De même le fil de fer ou le cordage qui relie les poteaux entre eux. Quant aux tas de craie disséminés sur le terrain, ils évoquent, inversés, des cratères d’obus. Une clairière de hêtres plantés constitue l’aboutissement des différents cheminements. Cette sécheresse apparente, saisissante, sera, au fil du temps, tempérée par la douceur de la végétation qui ne manquera pas, comme dans une friche, de coloniser le site. Un pari sur l’avenir, en quelque sorte, où la vie, qui « toujours invente », comme nous le rappelle le paysagiste Gilles Clément, l’emporterait sur le néant.

« Pax Dryades », le « jardin anglais » d’Helen et James Basson, Thiepval, dans la Somme. / L. JEDWAB/« LE MONDE »

Renseignements sur les Jardins de la paix - Hauts-de-France : artetjardins-hdf.com/ Historial de la Grande Guerre, à Péronne : historial.fr