Au milieu d’une foule d’adolescents et d’adultes, une femme pleure à chaudes larmes. Vêtue d’une petite robe noire, les cheveux afro coupés courts, elle serre dans ses bras un jeune garçon au visage fatigué. « Mon fils, mon fils », sanglote-t-elle, alors qu’à quelques mètres, son mari tente de la calmer. « Notre fils est là maintenant et c’est le plus important », souligne l’homme, barbe de plusieurs jours et yeux rougis.

Dans la cour de la Presbyterian Secondary School (PSS), un établissement scolaire situé dans le quartier Nkwen à Bamenda, dans la région du Nord-Ouest du Cameroun, hommes et femmes ont bien du mal à dissimuler leur émotion.

78 élèves et un chauffeur libérés

Comme Brigitte, tous ont « enfin » retrouvé leur fils ou leur fille, kidnappés lundi 5 novembre, au sein de cette école protestante secondaire. Les 78 élèves et un chauffeur ont été libérés mercredi 7 novembre, et l’annonce a été faite par le colonel Didier Badjeck, porte-parole du ministère de la défense, dans une déclaration transmise à la presse. Reste à l’heure actuelle quatre otages - la principale, un enseignant et deux élèves-, toujours retenus par les ravisseurs.

Dès l’annonce de ce kidnapping qui a choqué le Cameroun, les autorités ont porté leur soupçon vers les sécessionnistes. Depuis deux ans, la crise sociopolitique qui secoue les régions du Nord-Ouest et Sud-Ouest, les deux régions anglophones du pays représentant environ 20 % de la population, s’est transformée en un affrontement armé entre les forces de défense et de sécurité camerounaises et les militants séparatistes.

Ces derniers ont autoproclamé, le 1er octobre 2017, l’indépendance de l’Ambazonie, leur République. Depuis, plus de 400 personnes sont mortes dans le conflit. Pris entre deux feux, plus de 200 000 anglophones ont quitté leurs maisons et une grande partie des établissements scolaires ont fermé leurs portes, sous la menace séparatiste.

« Je me disais qu’ils allaient peut-être nous tuer »

« J’avais tellement peur. Je ne connaissais pas ces hommes et je me disais qu’ils allaient peut-être nous tuer », tremble encore une jeune fille au visage poupin malgré ses 16 ans. Bien que libre, elle reste immobile, blottie dans les bras de sa mère, entourée de ses trois tantes et de son père.

Autour d’elle règne une grande agitation. Elèves et parents sortent des dortoirs les bras chargés de matelas, valises, bassines, couvertures et sacs à dos, sous le regard des gendarmes encagoulés et armés, chargés de sécuriser les lieux. Tous entassent les effets de leurs enfants dans les coffres des taxis, de leurs voitures ou sur des motos-taxis. Ce jeudi 8 novembre, au lendemain de la libération, l’école se vide. « Affolés », « traumatisés », « inquiets », les parents préfèrent garder leurs enfants près d’eux « en lieu sûr ». Trop d’incertitudes perdurent. « Personne ne sait jusqu’ici ce qui s’est passé. Qui sont les ravisseurs ? D’où sortent-ils ? Comment sont-ils entrés dans l’école ? », interroge Elias, fonctionnaire de 51 ans en se dirigeant vers sa voiture.

D’après six élèves libérés rencontrés par Le Monde Afrique, tout commence lundi 5 novembre, entre 3 et 4 heures du matin, alors qu’ils sont encore endormis. Des hommes armés font irruption dans les dortoirs des garçons et filles. « J’ai été réveillée par des cris. Ils nous demandaient de ne pas faire de bruits », raconte une jeune fille. Les ravisseurs jaugent alors les élèves et sélectionnent « ceux qui sont grands et ont l’air plus forts », explique-t-elle, choquée.

La principale de l’école, le chauffeur et un enseignant sont également pris en otages. « Le portail était ouvert. Nous sommes sortis par là, poursuit l’élève, en tripotant nerveusement son t-shirt. Ils ont voulu emprunter le bus de l’école mais c’était trop lent ».

Interrogations sur l’identité des ravisseurs

Les otages marcheront « à toute vitesse pendant des heures ». Ceux qui ne suivent pas « reçoivent des coups ». Les ravisseurs les conduisent d’abord « dans leur camp, une maison abandonnée en pleine forêt » où ils passent la nuit. « Ils nous ont bandé les yeux avant qu’on y arrive, souffle un jeune garçon de 15 ans. Je ne sais pas où ça se trouve ». « Ils nous ont donné à manger et de l’eau pour se laver. Ils ne nous ont pas maltraités », ajoute une autre.

Le lendemain, le groupe se dirige vers Bafut, localité située à une vingtaine de kilomètres de Bamenda. « Avant d’y arriver, on s’est arrêtés à Mankon [une commune] où nous avons mangé », poursuit une autre élève. Les 78 élèves et le chauffeur seront finalement abandonnés à la Presbyterian Church de Bafut. Ils y passeront la nuit avant d’être retrouvés le lendemain par l’armée camerounaise.

« Ces libérations font suite au harcèlement imposé par notre dispositif qui a su localiser la cachette des ravisseurs », souligne le colonel Didier Badjeck pour qui « les ravisseurs ne sont rien d’autre que les sécessionnistes ». Ce que démentent les intéressés qui assurent n’avoir jamais kidnappé les élèves.

Sur l’identité des preneurs d’otages, les avis des élèves diffèrent. « Je ne crois pas qu’il s’agisse des séparatistes. Ils n’avaient pas de signe particulier des Ambas boys [les séparatistes] comme on voit souvent dans les vidéos qu’ils partagent sur Facebook », confient deux d’entre eux, quand un autre rétorque : « moi, je crois que ce sont les Amba boys car, le mardi matin, ils nous ont fait chanter l’hymne des Ambazoniens. Lorsqu’ils nous ont laissés à l’église, ils nous ont dit que la seule chose qu’ils voulaient, c’était la fermeture de l’école. Ils nous ont aussi demandé de ne plus aller à l’école ». Au sein de la Presbyterian Secondary School, les responsables, qui assurent ne pas avoir payé de rançon, ne savent pas, eux non plus, « qui est derrière l’enlèvement de nos enfants et collègues ».

Quatre otages toujours retenus

Plus de cinq jours après, les quatre personnes encore retenues en otage, sont toujours recherchées et des questions persistent. « Pourquoi avoir libéré les autres et pas eux ? », s’interroge un enseignant. L’inquiétude est d’autant plus grande que cet enlèvement était en fait le deuxième en une semaine au sein de l’établissement. Le 31 octobre, en effet, 11 élèves avaient déjà été kidnappés par des hommes armés puis libérés le 1er novembre, après le paiement d’une rançon de 2,5 millions de FCFA (environ 3 800 euros). Au lendemain de ce second enlèvement, « il n’y a plus d’élèves. Les parents ont tous récupéré leurs enfants », explique Samuel Fonki, modérateur de l’Église presbytérienne du Cameroun, contacté par Le Monde Afrique.

Aujourd’hui, des zones d’ombre persistent. Pourquoi l’école n’a-t-elle pas renforcé sa sécurité après ce premier enlèvement ? Comment les ravisseurs sont-ils entrés au sein de l’établissement ? Comment plus de 80 otages ont-ils pu échapper aux multiples check points des équipes mixtes de policiers, gendarmes et militaires dans une région où le couvre-feu s’étend de 18 heures à 6 heures du matin ? « Nous avons des vigiles qui gardent notre école », répond-t-on du côté de la PSS. « Les enquêtes se poursuivent », confie une source sécuritaire de la région.

Pour le moment, les élèves, « encore traumatisés », « n’ont qu’un souhait » : la libération de leur principale, de leur enseignant et leurs deux camarades.