Mustafa Sanalla, président de la compagnie nationale pétrolière libyenne, lors d’un événement à Benghazi, le 24 octobre 2018. / ESAM OMRAN AL-FETORI / REUTERS

Alors que l’Italie s’apprête à accueillir, lundi 12 et mardi 13 novembre, un sommet sur la Libye destiné à explorer une solution politique à la crise, Mustafa Sanalla, le président de la National Oil Company (NOC), la compagnie d’Etat chargé du secteur pétrolier, dénonce dans un entretien au Monde Afrique le « cancer » des « groupes criminels » détournant à leur profit les revenus des hydrocarbures.

À la veille du sommet de Palerme sur la Libye, vous souhaitez alerter la communauté internationale sur les périls menaçant le secteur pétrolier dans votre pays. Selon vous, quelles sont les mesures prioritaires à prendre ?

La priorité, c’est d’établir la transparence du système. Nous devons savoir où va l’argent du pétrole et sur quelles bases les décisions sont prises. Ceux qui décident, les hommes politiques, doivent rendre des comptes à la population. Tant qu’il n’y aura pas de transparence, les hommes politiques ne rendront pas de comptes. Peu importent dès lors les accords conclus à Palerme, peu importe l’identité de ceux qui dirigeront le pays et peu importe si nous aurons des élections démocratiques ou pas. Je ne suis pas un homme politique, mais j’ai toujours soutenu l’idée que le pétrole ne sera d’aucun bénéfice pour la population s’il reste une carte politique dont certains cherchent à jouer.

Vous reprochez au gouvernement de Tripoli de ne pas agir suffisamment. N’a-t-il pas pourtant esquissé certaines mesures ?

Non, je ne vois pas quelles mesures. Les subventions de l’Etat se poursuivent. Or ces subventions ne bénéficient pas aux plus pauvres des Libyens. Elles profitent, en vérité, aux seigneurs de la guerre qui organisent la contrebande du pétrole subventionné. Conséquence, les stations-service souffrent de pénurie et les prix à la pompe s’envolent. Les centaines de millions de dollars que l’État dépense en subventions enrichissent en fait des criminels qui s’acharnent à faire échouer le processus politique. Car leurs affaires juteuses ne peuvent prospérer que dans un environnement dépourvu d’État de droit. C’est comme un cancer qui s’aggrave de jour en jour : ces criminels recrutent des jeunes afin de poursuivre la guerre. Le problème des subventions n’est donc pas qu’une affaire économique, budgétaire ou sociale, c’est aussi une question politique et sécuritaire.

L’une des critiques que certains adressent à la redistribution des revenus du pétrole est son déséquilibre régional. À les entendre, ils profiteraient surtout à la capitale, Tripoli, au détriment de la Cyrénaïque, où sont concentrés les principaux puits et terminaux. Qu’en pensez-vous ?

Oui, certaines régions du pays se plaignent qu’ils ne reçoivent pas leur « juste part » des revenus pétroliers. De l’autre côté, ceux qui contrôlent cette richesse objectent qu’ils la redistribuent équitablement. Aucune des deux parties ne fournit toutefois vraiment de preuves pour étayer sa position.

La production pétrolière a récemment rebondi à 1,3 million de barils par jour, ce qui est sans précédent depuis 2013. Une telle reprise est-elle durable ?

C’est un bon résultat qui est le fruit de nos efforts. Il a été notamment permis par l’expulsion en septembre 2016 de la zone du Croissant pétrolier d’Ibrahim Jadhran, le chef de milice qui bloquait les terminaux. Mais cette reprise de la production n’est pas soutenable en l’absence de garanties supplémentaires en matière de sécurité.