Voix d’orientation. Le Monde Campus et La ZEP, média jeune et participatif, s’associent pour faire témoigner lycéens et étudiants sur leurs parcours d’orientation. Cette semaine, Quentin, qui a quitté sa classe préparatoire littéraire pour s’inscrire en licence de droit.

Octobre 2015. Il fait froid dans les couloirs de la prépa de ce vieux lycée parisien. Je ne fais plus attention à la beauté de l’architecture, ni au tumulte des collégiens en bas. Je ne pense qu’à une chose : comment ai-je pu me tromper à ce point ?

Retour en arrière, en février 2015. Je suis en terminale ES. Vu mes bons résultats dans les matières littéraires, ma prof d’éco me conseille de m’inscrire en classe préparatoire – en hypokhâgne. « Tu verras, les profs sont si intéressants, passionnants ! Et avec ton profil, c’est ce qu’il y aura de mieux pour toi. » A part cela, aucune information sur la fac et ses licences. Les salons de L’Etudiant sont peuplés d’écoles en tout genre (dont certaines délivrent des brochures design, mais dont les diplômes ne sont pas reconnus par l’Etat). Rien ne m’intéresse vraiment. Je ne sais même pas comment fonctionne une fac, ni ce qu’est une licence. « La rigueur, l’excellence et le haut niveau » : on me vante partout les bienfaits des prépas, et je finis par y croire totalement. Je cale le vœu « prépa » sur APB en sixième place, juste après 4 ou 5 bi-licences.

Il faut dire que l’hypokhâgne et la khâgne, c’est la voie royale pour un littéraire, avec à la clé les écoles normales supérieures, diverses écoles de commerce ou de communication, les Instituts d’études politiques… Mais aussi un niveau fantasmé : « j’ai fait une prépa » sonne comme un sésame. Mes parents, tous deux ingénieurs en informatique, ont été élevés dans l’idée du « bac général + prépa + école = boulot », par des parents ayant fait de même. Cela les rassurait, comparé aux débouchés des facs de lettres, philo, socio et j’en passe. Je ne leur en veux pas, ils ne voulaient que mon bien. Et leurs inquiétudes étaient en partie fondées, vu dans quelle incertitude j’étais à la fin du secondaire.

« Tout le monde était rassuré, sauf moi »

Mai 2015 : j’obtiens une place en hypokhâgne. Je valide sans hésitation, flatté et satisfait de pouvoir rassurer mes parents. Je rassure aussi ma copine de l’époque et ses parents, qui évoluent dans un milieu de classe moyenne supérieure. Bref, tout le monde est rassuré, mes oncles, mes tantes, mes grands-parents. Tout le monde, sauf moi.

Même si j’ai la fibre littéraire, je n’ai pas lu de livre depuis un an, la philo m’ennuie, l’histoire m’intéresse mais sans plus, je hais le latin et je trouve l’anglais tout au plus sympa. Certes, je m’étais mis en tête que ce n’était pas grave, que j’allais briller en lettres comme j’avais brillé au lycée et sans difficulté. Ce n’était qu’une question de travail, les bonnes notes viendraient d’elles-mêmes. Mais un doute surgit pendant les vacances d’été : suis-je assez fort ? Suis-je assez puissant intellectuellement ? Vais-je réellement tenter Ulm, moi qui déteste les concours ? Je doute alors que mes notes au bac soient très satisfaisantes, surtout dans les matières littéraires. Ma mère voit bien que cela me tracasse, mais n’ose rien dire…

Septembre 2015 : je commence la prépa. La plupart de mes amis ne sont mêmes pas encore rentrés à la fac. Nous sommes parqués en deux classes de quarante élèves, et nous nous installons, un peu à l’étroit. S’ensuit une semaine intensive de rabâchage : « l’élite de la nation », « vous êtes bien meilleurs que les faqueux », « vous n’allez pas chômer, mais ça vaut le coup », « oui, je suis aussi prof à Sciences Po ».

« A chaque épreuve, je me rétame violemment »

Une telle arrogance déteint assez vite. Mes parents s’en aperçoivent rapidement. Je deviens orgueilleux, fier de mon statut d’hypokhâgneux. Les repas en famille tournent vite à une démonstration pédante de ma supériorité supposée. Mais, deux semaines plus tard, je tombe de haut. Mes craintes étaient fondées. La prépa, c’est un gavage de notions, gavage passionnant certes, mais gavage quand même. Et à chaque épreuve, je me rétame violemment. Les remarques des professeurs sont assassines : « Et vous avez eu votre bac ? », « 18 au bac en anglais ? Comme quoi, ils donnent vraiment n’importe quelle note à n’importe qui… » ; « Niveau STMG, au mieux ».

Un mois plus tard, je m’écroule : je panique avant d’aller en cours, tous les prétextes sont bons pour sécher. Je simule des migraines, je fais des crises de larmes face à des notes terribles et des comportements humiliants… Certains de mes amis de prépa commencent déjà à s’en aller. Après un mois de lutte, je veux absolument partir moi aussi, à tout prix. En fac d’histoire ou ailleurs, pourvu que je m’en aille. Mes parents accueillent la nouvelle avec amertume, mais réalisme : ils s’en doutaient.

Il est trop tard pour se réinscrire à la fac, même pour une école privée. Je suis bloqué au moins pendant un semestre. Je fais part de ma volonté de partir à mes professeurs. Erreur : le professeur principal venait alors me voir chaque jour pour me demander quand je comptais m’en aller. Je réussis tout de même à tenir jusqu’à la fin du semestre. Deux facs ont finalement retenu ma candidature en réorientation : une en licence de droit, l’autre en anglais. Je prends le droit par dégoût de l’anglais, décision qui s’avère être la bonne.

La prépa m’a tout de même amené quelque chose en définitive : j’ai trouvé ma voie, le droit. Mais je l’ai payé de ma confiance en moi, déjà durement acquise, ainsi que d’une aversion profonde pour les lettres. Mes anciens potes de prépa s’en sont parfois bien sortis, parfois moins : une de mes amies a fini par faire un malaise au concours d’Ulm. Reste que pour moi, le bilan reste mitigé. Et cet épisode restera hélas gravé au fer rouge.

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