Une villa prise dans les flammes du Woolsey Fire, l’incendie géant qui ravage Malibu, en Californie, le 9 novembre. / ROBYN BECK / AFP

Les corps sont carbonisés, l’analyse génétique est le seul moyen de les identifier. De la localité, si mal nommée, de Paradise, 27 000 habitants, à 140 km au nord de Sacramento, la capitale de la Californie, il ne restait que des cendres dimanche 11 novembre. Cinq équipes de secouristes, suivies par un laboratoire mobile spécialisé dans l’analyse de l’ADN, fouillaient les décombres, les restes de chambres à coucher, les squelettes de voiture, à la recherche de quelques-unes des 228 personnes portées disparues.

Le feu a démarré jeudi matin 8 novembre sur Camp Creek Road, d’où son nom de Camp Fire. Il s’est propagé à une allure phénoménale, couvrant, selon les pompiers, un terrain de football par seconde. Dans une zone rurale des contreforts de la Sierra Nevada, parcourue de petites routes longeant les canyons, les habitants ont eu les plus grandes difficultés à s’enfuir. Coincés pare-chocs contre pare-chocs, certains ont essayé d’emprunter des détours, pour se trouver encerclés par les flammes. D’autres ont paniqué et sont partis à pied.

Plus de 6 000 maisons détruites

La Californie brûle, encore et encore. Et sur plusieurs fronts en même temps. Au nord, dans le comté de Butte, qui englobe Paradise. Déjà 31 morts, et 6 243 maisons détruites, ce qui fait du Camp Fire le plus destructeur de l’histoire de l’Etat. Au sud, dans la région de Los Angeles, le feu a pris près de la localité de Thousand Oaks, le 8 novembre, alors que les habitants étaient encore sous le choc de la tuerie du Borderline Bar, qui avait fait douze morts la veille. A 50 km de là, au bord de l’océan, l’entière population de Malibu, la cité balnéaire des stars, a dû être évacuée, dont Kim Kardashian et Alyssa Milano, en raison de l’avancée du Woolsey Fire. Dimanche, deux corps ont été retrouvés, mais les autorités n’étaient pas sûres de pourvoir attribuer leur décès à l’incendie. Plusieurs célébrités pleuraient leurs manoirs sur Instagram.

Les feux tuent régulièrement, maintenant, en Californie. Les pompiers n’y suffisent plus. Ce sont des « ouragans » de flammes

Les vents d’automne (appelés santa Ana dans le sud, diablo dans le nord, et catabatiques par les spécialistes, d’après le grec katabasis, descendre) s’en donnent tous les ans à cœur joie. Ils dévalent de la sierra, se réchauffent en perdant de l’altitude et se déplacent encore plus vite. Mais depuis la grande sécheresse des années 2014-2016, la végétation ne demande qu’à s’enflammer. Cette année, il n’a pratiquement pas plu depuis septembre. Les arbres sont desséchés. Plusieurs millions d’entre eux sont morts.

Les Californiens croyaient avoir subi l’an dernier les incendies les plus graves en une génération. Le Wine Country Fire, dans la région viticole de Napa et Sonoma, avait fait 44 morts en octobre, un bilan sans précédent, le plus lourd jamais connu dans le Golden State.

Mais l’exceptionnel est devenu la règle. Les feux tuent régulièrement, maintenant, en Californie. Les pompiers n’y suffisent plus. Ce sont des « ouragans » de flammes, disent-ils, qui surgissent de nulle part. Et qui reviennent sur leurs pas, comme le Camp Fire, réapparu dimanche au bord du ruisseau où avait été signalé trois jours plus tôt le premier départ de feu, sous les pylônes électriques.

Carto des incendies en Californie, Camp fire et Woolsey fire, au 12 novembre 2018 / infographie Le Monde

« Il faut travailler tous ensemble »

A qui la faute ? De Paris, Donald Trump a déniché le coupable : la « désastreuse gestion » des forêts en Californie. « Remédiez-y maintenant, ou c’est la fin des paiements du gouvernement fédéral », a-t-il menacé. Le Tweet présidentiel a ulcéré les Californiens. Brian Rice, le président du Syndicat des pompiers, qui représente 30 000 secouristes, a dénoncé une « attaque honteuse », alors que 250 000 habitants « désespérés » ont dû évacuer leur logement. « Les catastrophes naturelles ne sont ni rouges [couleur des républicains] ni bleues [démocrates]. Elles détruisent quel que soit le parti. » Le gouverneur Jerry Brown a temporisé, d’autant qu’il a été obligé de demander à l’administration Trump de déclarer l’état d’urgence dans les comtés dévastés. « Dans un moment comme celui-ci, il faut travailler tous ensemble », a-t-il enjoint.

« Le président néglige totalement la dynamique de ce qui se passe autour de nous. Le changement climatique dessèche notre paysage », LeRoy Westerling, spécialiste des incendies

Donald Trump n’a fait que relancer la polémique qui dure depuis des années sur le débroussaillage et la déforestation entre les défenseurs de l’environnement et l’industrie du bois. Les écologistes soupçonnent l’administration d’avoir l’intention de donner l’autorisation aux compagnies forestières d’intervenir, à la tronçonneuse, dans les forêts californiennes, dont 60 % se trouvent sur des terres publiques. « Le président néglige totalement la dynamique de ce qui se passe autour de nous, a réagi LeRoy Westerling, un spécialiste des incendies à l’université de Californie à Merced, cité par le quotidien San Francisco Chronicle. Le changement climatique dessèche notre paysage. Le problème n’est pas la gestion forestière, mais l’aménagement de zones de sécurité autour des zones urbanisées. »

Tous les regards sont tournés vers la compagnie électrique de Californie du Nord, PG&E (Pacific Gas and Electric Company). Celle-ci a reconnu qu’un incident avait eu lieu sur une ligne à haute tension le 8 novembre à 6 h 15, soit une vingtaine de minutes avant que le départ du Camp Fire soit signalé. PG&E avait également été mise en cause en 2017 après le terrible incendie dans la région viticole. Un rapport officiel avait établi que 12 départs de feu de la saison à risque étaient dus à des arbres entrant en contact avec des lignes électriques ou autres problèmes liés à la compagnie. Celle-ci pourrait avoir à payer quelque 10 milliards de dollars, même si la négligence n’est pas établie.

Dans le passé, PG&E avait assuré le coût des dommages et intérêts. Avec l’intensification des incendies (14 des 20 plus grands ont été enregistrés dans les vingt dernières années), elle assure ne plus pouvoir porter le coût du changement climatique, sauf à augmenter les tarifs pour les usagers. Fin juillet, le gouverneur a proposé un compromis. Avant de contraindre la compagnie à indemniser les victimes, un juge serait appelé à décider si elle a agi « raisonnablement » dans sa gestion des risques. Par précaution, PG&E coupe désormais le courant lorsque le danger est trop grand. Elle venait de le faire en octobre : 60 000 foyers avaient été privés d’électricité.

En Californie, l’incendie Camp Fire devient incontrôlable