Le Conseil d’Etat a décidé, lundi 12 novembre, de transmettre au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) posée une semaine plus tôt par un collectif d’associations et cinq travailleurs du sexe contre la loi du 13 avril 2016 sur la prostitution.

Médecins du monde (MDM) et les huit associations requérantes considèrent que la loi de 2016 a précarisé davantage le quotidien des prostituées, en les contraignant à baisser leurs tarifs, à accepter des rapports non protégés et à exercer dans des endroits plus isolés. Ils s’appuient, pour développer leur argumentaire, sur les résultats d’une étude coordonnée par MDM et parue au printemps.

Fin du délit de racolage

La pénalisation des clients contrevient-elle aux droits et libertés garantis par la Constitution, comme le soutiennent notamment Médecins du monde et le Syndicat du travail sexuel (Strass) ? Lundi 5 novembre, dans une salle aux murs rouge et or du Conseil d’Etat, la rapporteuse publique, qui rappelle les règles de droit et rend un avis le plus souvent suivi, s’était prononcée pour la transmission au Conseil constitutionnel de cette « épineuse question ». Les membres de l’institution disposent désormais de trois mois pour y répondre, et observer la conformité de la loi avec le droit au respect à la vie privée, à la liberté d’entreprendre et au principe de nécessité et de proportionnalité des peines.

« C’est une vraie victoire d’étape puisque le Conseil constitutionnel va être amené à se prononcer sur la conformité du texte avec la Constitution, et va pouvoir abroger un texte qui est encore très controversé », s’est réjoui auprès du Monde Patrice Spinosi, l’avocat des requérants, à l’annonce de la transmission.

A l’inverse, Grégoire Théry, porte-parole du Mouvement du Nid, qui accompagne des prostituées et milite en faveur de l’abolition de la prostitution, « prend la mesure de la gravité de la séquence qui s’ouvre ». « Si le Conseil constitutionnel se prononçait pour l’abrogation de la pénalisation des clients, au nom d’une liberté d’entreprendre érigée en principe suprême, cela aurait des conséquences très graves », s’inquiète-t-il, évoquant des répercussions y compris sur la lutte contre la culture du viol et pour l’égalité entre les femmes et les hommes.

La loi sur la prostitution, promesse de campagne du candidat François Hollande, avait suscité deux ans et demi de vifs débats à l’Assemblée. Outre l’instauration pour les clients d’une amende pouvant aller jusqu’à 1 500 euros (3 750 en cas de récidive), son adoption avait entraîné la fin du délit de racolage, et la création d’un accompagnement social pour les prostituées souhaitant cesser leur activité, assorti d’un titre de séjour temporaire pour les étrangères.