L’avis du « Monde » – on peut éviter

Il y a bien longtemps, une bande de collégiens malicieux, empotés, innocents, insuffla une nouvelle vie à un genre typiquement britannique, le roman de pensionnat. Deux décennies plus tard, cette renaissance charmante a muté, monstrueusement : en voyant Les Crimes de Grindelwald, on ne devinerait jamais qu’au commencement était Harry Potter (et Ron, et Hermione, et les jumeaux Weasley…). L’auteur est pourtant le même. J.K. Rowling signe en solo le scénario de ce deuxième épisode (après Les Animaux fantastiques) d’un récit situé un bon demi-siècle avant les événements relatés dans la saga Harry Potter. Même réalisateur également – David Yates – qui avait dirigé les derniers épisodes de Harry Potter, dont tout le monde avait remarqué la tonalité de plus en plus sombre.

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Le film croule sous un esprit de sérieux désolant, qui, au fil des heures, agit comme un philtre d’ennui

Or Les Reliques de la mort, qui concluaient les aventures du jeune sorcier, passent pour un aimable badinage à côté des Crimes de Grindelwald. La noirceur est ici abyssale, l’espérance de vie des personnages est tombée au niveau de celle des habitants de Westeros (Game of Thrones), sans que ce phénomène suscite beaucoup d’émotion. Celle-ci est absente, remplacée par de sombres ruminations sur la nature du pouvoir, des analogies bancales entre le monde de la magie inventé au fil des épisodes de Harry Potter et les démocraties européennes entre les deux guerres mondiales. La présence de dragons chinois ou l’apparition d’une incarnation presque juvénile d’Albus Dumbledore (Jude Law) n’y font rien, le film croule sous un esprit de sérieux désolant, qui, au fil des heures, agit comme un philtre d’ennui.

Ahurissement vaguement naïf

L’une des manifestations les plus frappantes de cette monotonie affecte la physionomie d’Eddie Redmayne. L’acteur britannique, qui reprend le rôle de Norbert Dragonneau, magizoologiste (spécialiste des créatures magiques), affiche une expression unique, un ahurissement vaguement naïf dont on aimerait croire qu’elle est le résultat de la lecture du scénario. Dragonneau doit affronter à la fois un génie du mal, Grindelwald (Johnny Depp, tout de blanc maquillé, la lèvre supérieure immobilisée en un rictus méprisant) et la bureaucratie du ministère de la magie.

Le film va de New York à Londres, de Londres à Paris, s’achève au Père-Lachaise en un cataclysme meurtrier

Le film va de New York à Londres, de Londres à Paris, s’achève au Père-Lachaise en un cataclysme meurtrier, traversant des foules qui évoquent celles qui formaient les cortèges des années 1930. J. K. Rowling et David Yates ont quelque chose à dire sur les dangers de l’absolutisme, du racisme, de l’élitisme (les partisans de Grindelwald défendent les magiciens de pure extraction et réprouvent les métissages). Mais quoi ? La réprobation manifestée à l’égard des aristocrates se heurte à l’importance que prennent les généalogies des personnages, devenues des enjeux indépassables, la critique de la bureaucratie est contredite par la complication de l’intrigue, qui vaut tous les formulaires en triple exemplaire du monde.

Les effets spéciaux numériques ont beau recouvrir un Paris de pixels d’un voile de deuil, peupler le ciel de la capitale de créatures volantes inédites, la magie s’est dissipée pour ne laisser qu’un chaos aveuglant, assourdissant. On se souvient des jours heureux du Quidditch et de la bièraubeurre et l’on remet un vieux DVD dans le lecteur.

Les Animaux Fantastiques : les Crimes de Grindelwald - Bande Annonce finale (VF)
Durée : 02:30

Film britannique et américain de David Yates. Avec Eddie Redmayne, Katherine Waterston, Zoë Kravitz, Jude Law, Johnny Depp (2 h 15). Sur le Web : wizardingworld.warnerbros.fr et www.fantasticbeasts.net