L’avis du « Monde » – pourquoi pas

Il y a des films dont la bande sonore pourrait s’adapter à n’importe quel long-métrage, à suspense ou d’action. Comme une nappe qui viendrait uniformiser (ou internationaliser) la mise en scène et le scénario. Ou un audioguide qui murmurerait à l’oreille du spectateur dans quel terrain cinématographique il se trouve. Dès les premières secondes de Millénium : ce qui ne me tue pas, de Fede Alvarez, on a compris la musique : les cordes annoncent les ressorts sur lesquels va rebondir la super-héroïne éprise de justice Lisbeth Salander, dans cette adaptation du best-seller de David Lagercrantz, lequel a poursuivi la trilogie au succès mondial du Suédois Stieg Larsson publiée entre 2005 et 2007 (après sa mort en 2004).

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En résumé : le danger guette Lisbeth Salander à tout instant, mais le poids du passé est si lourd, et son courage et son audace tellement forts, qu’elle va surmonter tous les mauvais coups. Le marketing du film vante la patte suédoise de Ce qui ne me tue pas – même si la production est américaine –, sans doute pour se démarquer du précédent opus réalisé par l’Américain David Fincher, Millénium : les hommes qui n’aimaient pas les femmes (2012), avec Daniel Craig dans le rôle du journaliste d’investigation Mikael Blomkvist, et Rooney Mara dans celui de Lisbeth Salander. Six ans plus tard, Ce qui ne me tue pas ressemble avant tout à un blockbuster hollywoodien, le décor gris-noir des docks et des lofts en plus.

Une icône punk rock intemporelle

C’est bien dommage car la comédienne choisie pour incarner le personnage phare de la série, Claire Foy, tire particulièrement bien son épingle du jeu : elle devait entrer dans la peau (un peu stéréotypée) d’une jeune rebelle, hackeuse, hors-la-loi mais humaine, grands yeux bleus déterminés à aller jusqu’au bout. Elle fait tout comme un mec, un vrai, qui n’a peur de rien et enfourche sa moto dans sa combinaison noire, qui masque à peine le dragon tatoué dans le dos.

Reste que la talentueuse Claire Foy a malaxé son personnage jusqu’à en faire une icône punk rock, intemporelle ; en face, l’acteur qui incarne Mikael Blomkvist, le Suédois Sverrir Gudnason, apparaît un peu fade. Auréolée d’un Golden Globe pour son interprétation de la reine Elizabeth II, dans la série de Netflix The Crown, l’actrice britannique a joué au côté de Ryan Gosling dans First Man : le premier homme sur la Lune (2018), de Damien Chazelle.

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L’adaptation de Ce qui ne me tue pas tire sur la saga de James Bond. Si Lisbeth Salander n’a pas l’humour british de l’agent 007, elle en a l’étoffe, et le film de Fede Alvarez en a les codes, un peu trop appuyés – courses-poursuites, bagarres, cascades et trésors technologiques à gogo.

Entre effroi et drôlerie

Le scénario n’est pas d’une grande inventivité. On découvre Lisbeth et sa sœur Camilla, enfants, en train de jouer aux échecs tandis qu’une araignée parcourt le damier. Leur père est un abuseur sexuel, et vient le jour où Lisbeth finit par s’enfuir du manoir isolé, sans parvenir à convaincre sa sœur de la suivre. Dès lors, les destins de Lisbeth, la brune, et Camilla, la blonde (Sylvia Hoeks), ne vont cesser de s’éloigner. La première se promet de venger les femmes qui sont victimes des hommes ; la seconde devient une beauté fatale, psychopathe, et prend la tête d’un réseau de tueurs, tous porteurs d’un même tatouage : celui d’une araignée. Les deux femmes se retrouvent à l’âge adulte alors que le gang des Spiders se retrouve mêlé à une histoire de fichier volé, derrière lequel court Lisbeth, tracée par la National Security Agency américaine et le gouvernement suédois…

Quelques scènes bien senties émergent de ce canevas prévisible

Quelques scènes bien senties émergent de ce canevas prévisible, alors que pas moins de trois scénaristes sont crédités au générique. Le début du film est plutôt réussi. On découvre Lisbeth Salander dans l’appartement design d’un couple fortuné, dans lequel elle s’est infiltrée. La femme est à genoux, un peu en sang, tandis que le mari essaie une nouvelle fois de se faire pardonner sa violence. Entre effroi et drôlerie, la justicière va lui régler son compte, dévoilant ainsi l’ambiguïté de son action : elle rend justice à sa façon, sans l’aide de l’Etat, empruntant des moyens qui la rendent illégale et passible de poursuites. Une héroïne moderne, sorte de Femen solitaire.

Millénium : Ce Qui Ne Me Tue Pas - Bande-annonce 2 - VF
Durée : 02:01

Film américain de Fede Alvarez. Avec Claire Foy, Sverrir Gudnason et Sylvia Hoeks (1 h 56). Sur le Web : www.facebook.com/MilleniumCeQuiNeMeTuePas.LeFilm et www.sonypictures.com/movies/thegirlinthespidersweb