Le déraillement d’un train a fait 7 morts et 125 blessés, au nord de Rabat, le 16 octobre. / FADEL SENNA / AFP

Fierté des officiels, la première ligne à grande vitesse (LGV) d’Afrique ne fait pas rêver tous les Marocains. Inaugurée, jeudi 15 novembre, par le roi Mohammed VI et le président Emmanuel Macron, la LGV a suscité, depuis son annonce, en 2007, de nombreuses inquiétudes. Le train à grande vitesse bénéficie-t-il réellement au développement du royaume ou sert-il la coopération franco-marocaine ? Faut-il investir dans un projet de modernisation aussi coûteux, alors que le réseau ferroviaire classique souffre ?

Un mois avant le lancement de la nouvelle ligne à grande vitesse, le déraillement d’un train faisant 7 morts et 125 blessés, au nord de Rabat, le 16 octobre, a ravivé la polémique sur l’état des infrastructures ferroviaires. Sur les réseaux sociaux, les usagers ont accusé l’Office national des chemins de fer (ONCF), la compagnie publique marocaine, d’être responsable de l’accident, à cause de l’état défectueux de ses équipements.

« Ce genre d’accident est très rare au Maroc, le dernier que nous avons connu remonte à 1993, et était beaucoup plus grave », s’est défendu le directeur général de l’ONCF, Mohamed Rabie Khlie, sans parvenir à faire taire les critiques. « On a le sentiment que, depuis le lancement du projet de LGV, le reste des réseaux a été délaissé, y compris les opérations de maintenance », confie Younes Bennai, ancien membre de l’association Capdema, qui avait publié, en 2011, un rapport sur le modèle économique de la LGV.

Dans ce pays de 35 millions d’habitants, le réseau ferroviaire est encore peu développé, en particulier dans les régions rurales. « A quelques exceptions près, la plupart des lignes existantes datent de 1950, affirme Omar Balafrej, parlementaire Front de gauche, qui rappelle que la LGV n’a jamais été discutée au Parlement. Ce projet luxueux se fait au détriment des régions reculées, où il n’y a toujours pas de train, et des investissements réellement prioritaires pour le Maroc. »

Des retards de plusieurs heures

A Casablanca, terminus de la première ligne de TGV, qui relie Tanger à la capitale économique, le sentiment d’être tenu à l’écart du développement économique revient fréquemment dans la bouche des usagers. « Quand il s’agit de faire plaisir aux entreprises occidentales et de redorer l’image du royaume à l’étranger, on n’hésite pas à investir des milliards !, s’emporte Khalid Benjelloun, 47 ans, habitué de la ligne Casablanca-Rabat. En revanche, ils sont incapables de fournir des équipements en bon état, de faire venir les trains à l’heure et d’éviter les perturbations. »

La question des transports est devenue une source de colère chez les habitants. Chaque jour, les trains accusent des retards de plusieurs heures, tandis que les pannes sont courantes. Sur Facebook, une page intitulée « ONCF Retards » recense les mésaventures des passagers.

« Cela fait des années que l’on souffre, qu’il nous arrive de marcher plusieurs kilomètres à pied pour rentrer chez nous en plein milieu de la nuit parce que le train s’arrête. Sans être indemnisé »

Fin octobre, des voyageurs exaspérés ont bloqué les voies en guise de protestation dans plusieurs gares. « On en a marre ! Cela fait des années que l’on souffre, qu’il nous arrive de marcher plusieurs kilomètres à pied pour rentrer chez nous en plein milieu de la nuit parce que le train s’arrête. Sans être indemnisé. Comment un TGV peut-il fonctionner, si l’ONCF n’arrive même pas à gérer les trajets classiques ? », s’interroge Maha, une jeune Casablancaise qui a participé au blocage des voies.

Dans la plupart des villes marocaines, le transport public reste un enjeu majeur. Les vieilles carcasses de la RATP qui servent d’autobus sont brinquebalantes. Les sièges sont cassés, la carrosserie attaquée par la corrosion et le trajet synonyme d’insécurité. Seul le tramway, inauguré en 2011 à Rabat, et un an plus tard à Casablanca, assure un transport fiable et sécurisé.