Mike Pence, le vice-président américain, et Xi Jinping (de dos), le président chinois, à Port Moresby, en Papouasie-Nouvelle-Guinée, le 17 novembre. / DAVID GRAY / REUTERS

Editorial du « Monde ». Il y a loin de Port Moresby à Berlin. Pourtant, ce qui s’est passé, durant le week-end, dans la capitale de la Papouasie-Nouvelle-Guinée, illustre parfaitement le « chaos du monde » décrit par Emmanuel Macron à la tribune du Bundestag, dimanche 18 novembre. Pour la première fois depuis sa création, en 1989, l’APEC, l’organisation de coopération économique qui réunit une vingtaine de pays entourant le Pacifique, n’est pas parvenue à se mettre d’accord sur un communiqué commun. Les Etats-Unis voulaient y inclure la nécessité d’une réforme de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Les Chinois s’y sont opposés.

A l’évidence, la rivalité entre les deux principales puissances mondiales est en train de tourner à la confrontation ouverte. Dans la droite ligne du réquisitoire qu’il avait prononcé, le 4 octobre, contre le projet de « nouvelles routes de la soie » développé par Pékin, le vice-président américain, Mike Pence, s’est livré à une attaque en règle contre les ambitions chinoises. « Nous ne noyons pas nos partenaires dans un océan de dettes », a-t-il déclaré, avant d’ajouter : « Nous ne contraignons pas, nous ne corrompons pas, nous ne compromettons pas votre indépendance. » Et, de façon éminemment symbolique, il a annoncé la participation américaine au projet de rénovation par l’Australie de la base navale de Lombrum, en Papouasie-Nouvelle-Guinée.

Echange d’amabilités

De son côté, le président chinois, Xi Jinping, a une nouvelle fois fait la promotion de ses « nouvelles routes de la soie », qui ne sont pas « un prétendu piège ». Et il a ajouté cette mise en garde : « L’histoire a montré qu’une confrontation, que ce soit sous la forme d’une guerre froide, d’une guerre chaude ou d’une guerre commerciale, ne produira aucun vainqueur. »

Cet échange d’amabilités augure mal de la rencontre prévue entre les présidents américain et chinois lors du sommet du G20, à la fin du mois, en Argentine. Alors que les Etats-Unis accusent la Chine de constituer une menace stratégique, Pékin n’entend pas céder un pouce de terrain dans sa politique de développement tous azimuts. Peu à peu se met en place une configuration qui obnubile les stratèges chinois et qu’ils croyaient avoir évitée : le « piège de Thucydide », du nom de l’historien grec des guerres du Péloponnèse, selon lequel, quand une puissance émergente conteste l’hégémonie d’une puissance établie, l’histoire montrerait que cette dernière lui a souvent fait la guerre.

Pays riche ou pays pauvre ?

On n’en est pas encore là, mais les semaines à venir seront déterminantes : chacune des deux parties doit faire un effort pour éviter une escalade périlleuse. Puisque les Etats-Unis ont porté le fer sur le terrain commercial en instaurant des droits de douane sur les importations chinoises, le débat sur les règles commerciales à venir va être décisif. C’est tout sauf un hasard si c’est sur cette question que l’APEC vient de se fracturer. Mais les Etats-Unis doivent comprendre qu’humilier la Chine serait contre-productif : celle-ci est autrement plus puissante que ne l’était l’Union soviétique il y trente ans.

De son côté, Pékin doit admettre que sa formidable expansion économique doit beaucoup aux avantages que l’Organisation mondiale du commerce lui a accordés depuis une vingtaine d’années afin de lui permettre de rattraper les pays développés. Aujourd’hui, la Chine continue-t-elle d’être un pays pauvre avec beaucoup de riches, comme elle l’affirme pour continuer de bénéficier de ces aides, ou un pays riche avec beaucoup de pauvres, comme le jugent les Occidentaux pour remettre ces aides en cause ? C’est toute la question.

L’échec de la réunion de l’APEC doit être un signal salutaire. Tant Donald Trump que Xi Jinping doivent se montrer à la hauteur de leurs responsabilités. Et donner tort à Thucydide.