Des élèves de l’Ecole vétérinaire de Dakar suivent un cours de parasitologie avec le professeur Gbati. / Sylvain Cherkaoui pour Le Monde

En ce jour de grève à l’université Cheikh-Anta-Diop de Dakar (UCAD), les pierres jonchent l’avenue du même nom. Les forces de l’ordre font front devant l’entrée principale, les étudiants se bouchent le nez et se pressent pour se protéger des gaz lacrymogènes. Si Enguerrand Gelinet, étudiant franco-sénégalais à l’Ecole vétérinaire de Dakar, court, lui, c’est pour ne pas arriver en retard à son devoir, vendredi 9 novembre. Un camarade togolais lui emboîte le pas. Marocains, Tunisiens, Béninois, Ivoiriens, Burkinabés, Burundais, Gabonais, Rwandais... Pas moins de 22 nationalités se côtoient dans les amphithéâtres de l’école.

Problématiques africaines

Celle-ci a dû rêver mieux pour fêter ses 50 ans d’existence. Créée en 1968 pour faire face au développement de l’agriculture et de l’élevage après l’indépendance des Etats africains dans les années 1960, l’Ecole inter-Etats des sciences et médecines vétérinaires (EISMV) a, depuis, formé 1 400 docteurs vétérinaires. L’établissement à vocation panafricaine, intégré à l’UCAD, compte aujourd’hui quinze Etats membres qui participent à son budget de fonctionnement sur un mode mixte public-privé.

Présentation de notre série : Etudier à Dakar

La sélection des élèves se fait sur dossier. Le cursus est bouclé en six ans et les enseignements dispensés sont axés sur les problématiques africaines. C’est l’une des raisons qui ont poussé Joël Wilfried Bama Bali à quitter son Burkina natal. « Je n’ai pas postulé ailleurs. Ici, on cherche à améliorer la sécurité alimentaire, alors qu’en Europe, ce stade est dépassé », témoigne l’étudiant en deuxième année. « Là-bas, on s’intéresse aux NAC, les nouveaux animaux de compagnie », ajoute, amusé, Ouédrago Drama, l’un de ses compatriotes et camarade fraîchement installé à Dakar.

Malgré tout, les deux amis retourneront un temps à Ouagadougou puisque, parmi les quatre stages obligatoires, certains devront être effectués dans le pays d’origine, d’autres en milieu rural, en Mauritanie et au Mali notamment. Un soulagement chez ces jeunes Burkinabés pour qui étudier dans la capitale sénégalaise revient cher. « On paie le loyer 180 000 francs CFA [275 euros] contre 60 000 chez nous », rouspètent-ils.

S’accommoder du coût élevé de la vie, renoncer au confort familial, Fatoumata Konaté et Kangala Esdra, des bacheliers venus de Côte d’Ivoire et du Bénin, l’ont aussi fait. Pour la qualité de la formation de l’école de Dakar, la meilleure dans la sous-région, jugent-ils. Idem chez Themo Anargyros, un Français d’origine grecque, qui débute sa quatrième année. « J’étais accepté dans une très bonne prépa en France et j’ai fait un an en Espagne. Mais la théorie qu’on nous enseigne ici est meilleure », assure l’étudiant, qui voudrait travailler en Afrique.

« L’enseignement est bon »

Et pour ceux qui souhaitent exercer hors du continent, une alternative existe. « Pour faire reconnaître le diplôme en France, où le concours d’entrée pour devenir vétérinaire est très sélectif, il faut repasser un test à la fin de la formation, explique Enguerrand Gelinet, en cinquième année. Ces deux dernières années, deux Français l’ont tenté et ils ont réussi. Preuve que l’enseignement est bon ici. »

Si la qualité est de mise à l’Ecole vétérinaire de Dakar, c’est aussi dû aux règles imposées aux étudiants. « On fait moins la fête ici », regrette Themo Anargyros. « Pas le droit de manifester non plus », renchérit Maliki Savadogo, un Burkinabé de deuxième année, qui sort de son cartable un document prouvant son engagement à « s’abstenir de toute grève », cacheté par le commissariat de police. Raison pour laquelle, sans doute, les étudiants ont pu démarrer les cours en octobre alors que, dans les départements voisins, on tente tant bien que mal de finir l’année 2017-2018.

Etudier à Dakar : le sommaire de notre série

Les étudiants d’Afrique de l’Ouest, mais aussi d’Afrique centrale, du Maghreb et d’Europe, se tournent de plus en plus vers l’enseignement supérieur sénégalais.

Présentation de notre série : Etudier à Dakar

Mais si le calendrier scolaire n’a pas été perturbé, certains étudiants attendent toujours de pouvoir s’inscrire. « L’Etat du Sénégal n’a pas encore payé sa cotisation annuelle. Il y en a d’autres dans ce cas et cela nous empêche de faire nos inscriptions pédagogiques », confie Pape Amadou Ngom, qui déplore aussi les lenteurs administratives, la vétusté de certains équipements et le manque d’animaux pour les tests cliniques.

Pour autant, le jeune homme se sait chanceux quand il discute sur le campus avec les autres étudiants de l’UCAD, souvent pessimistes quant à leur avenir. « Il y a un déficit de médecins vétérinaires en Afrique. On ne trouve pas de diplômés de l’EISMV au chômage. Un emploi nous est assuré à la sortie de l’école », affirme l’étudiant de quatrième année, qui rêve de travailler dans une écurie quand il sera docteur, pour perpétuer la tradition familiale. Son père dirigeait un haras à Thiès.

Les Débats du « Monde Afrique » : à Dakar, deux jours consacrés à la jeunesse ouest-africaine

A Dakar, les 22 et 23 novembre, la quatrième édition des Débats du Monde Afrique sera placée sous le signe de « l’éducation et la formation des jeunes en Afrique de l’Ouest ». Consultez le programme et inscrivez-vous en cliquant ici.

Les débats et tables rondes qui ponctueront la première journée, au Grand Théâtre national de Dakar, porteront sur les apprentissages nécessaires au citoyen du XXIe siècle et sur les compétences qu’il doit développer pour traverser le siècle. Difficile aussi d’éluder les formations scientifiques, sans lesquelles les entreprises ne trouveront pas la main-d’œuvre nécessaire au développement des pays et qui se doivent d’être suffisamment attractives et ouvertes sur l’innovation pour séduire les générations nouvelles.

Au deuxième jour de l’événement, un focus particulier sera porté aux métiers du secteur de l’énergie, afin de comprendre quelles sont les formations d’avenir et les débouchés possibles. Les étudiants des universités sénégalaises seront les bienvenus au sein d’ateliers leur permettant de comprendre comment créer son propre emploi sur un continent où le salariat reste le maillon faible. Ce sujet sera discuté au sein de master class spécialement organisées à leur intention au sein des universités.