L’homme d’affaires britannique William Browder et l’ex-oligarque russe en exil Mikhaïl Khodorkovski, lors d’une conférence de presse organisée à propos de la possible élection d’un Russe à la présidence d’Interpol, le 20 novembre à Londres. / DANIEL LEAL-OLIVAS / AFP

A l’approche de l’élection du nouveau patron d’Interpol, prévue lors de la 87assemblée générale de l’organisation internationale de police criminelle à Dubaï, mercredi 21 novembre, les esprits s’échauffent autour de la candidature du Russe Alexandre Prokoptchouk. « Il suivra n’importe quel ordre du Kremlin ! », s’est indigné Mikhaïl Khodorkovski. Depuis Londres, mardi, l’ex-oligarque russe en exil a tenu une conférence de presse en compagnie de l’homme d’affaires britannique William Browder pour protester contre l’éventuelle désignation de M. Prokoptchouk, pressenti pour prendre la relève de son prédécesseur, le chinois Meng Hongwei, « disparu » alors qu’il effectuait un déplacement dans son pays – il n’est pas réapparu en public depuis.

Les autorités de Pékin ont confirmé qu’il faisait l’objet d’une enquête pour corruption et Interpol a accepté une lettre de démission sans signature manuscrite. Dans ce contexte particulier, la perspective de son remplacement par le représentant d’un « autre » Etat autoritaire, nourrit la polémique. « Si un Russe dirige Interpol, l’Occident devra se chercher un plan B, une nouvelle agence… », a souligné William Browder. Tout comme M. Khodorkovski, ce dernier a fait l’objet d’une « notice rouge » – sorte de mandat d’arrêt international transmis aux 192 adhérents d’Interpol par l’un de ses membres – pour des motivations jugées politiques.

« Instrumentalisation » d’Interpol

Dans le cas de M. Browder, cofondateur du fonds d’investissement Heritage Capital, poursuivi pour fraude fiscale en Russie, l’affaire a pris des proportions internationales après la mort dans une prison russe du juriste de son entreprise, Sergueï Magnitski. Depuis, sous le nom de Magnitski Act, les Etats-Unis – pays d’origine de M. Browder – ont adopté en 2012 une liste de sanctions contre la Russie au nom des droits de l’homme.

Par une curieuse coïncidence, dix ans après le décès brutal du juriste, la Russie a annoncé lundi l’ouverture d’une nouvelle enquête criminelle contre l’homme d’affaires devenu un virulent critique de Vladimir Poutine. Déjà condamné à deux reprises sur le sol russe, ce dernier est désormais accusé d’avoir commandité l’empoisonnement de M. Magnitski, voire d’autres associés.

L’opposition de Vladimir Poutine crie au scandale et dénonce « l’instrumentalisation » d’Interpol. La Russie, rappelle-t-elle, a tenté d’arrêter plusieurs de ses détracteurs par ce biais, dont Gregori Rotchenkov, l’ancien directeur du laboratoire antidopage à Moscou (aujourd’hui réfugié aux Etats-Unis), Leonid Nevzline, l’ex-vice-président de Ioukos, le groupe détenu autrefois par Mikhaïl Khodorkovski (aujourd’hui résident en Israël) ou encore l’ancien premier ministre ukrainien Arseni Iatseniouk. Aucune alerte lancée par Moscou dans le réseau Interpol n’a été suivie d’effets, mais l’inquiétude demeure. Général au sein du ministère russe de l’intérieur, Alexandre Prokoptchouk est vice-président d’Interpol depuis 2016. C’est par lui qu’auraient transité bon nombre de ces tentatives d’application de « notice rouge ».

Né à Kiev le 18 novembre 1961, diplômé de l’université de Kiev en langues et littérature, M. Prokoptchouk parle couramment l’anglais, l’allemand, le français, l’italien et le polonais. Arrivé à Moscou en 1986, avant la chute de l’URSS, il y poursuivra toute sa carrière, d’abord comme responsable d’un programme d’échanges d’étudiants dans l’enseignement supérieur avant de devenir un expert du fisc, puis le responsable de la coopération internationale sur la sécurité économique au sein du ministère de l’intérieur. Promu au grade de général en 2003, par un décret de Vladimir Poutine, il s’occupe assez vite des relations internationales de la police grâce à sa maîtrise des langues, en dirigeant notamment le bureau d’Interpol à Moscou. En 2006, il est nommé vice-président de l’organisation, devenant ainsi le premier Russe à accéder à un tel niveau.

Détail piquant : son propre frère, Igor Prokoptchouk, est le représentant d’Ukraine au sein de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE). Or, l’Ukraine menace désormais de se retirer temporairement d’Interpol si Alexandre Prokoptchouk était élu… De leur côté, plusieurs sénateurs américains – deux républicains et deux démocrates – ont écrit une lettre ouverte à Donald Trump et à l’assemblée générale d’Interpol pour s’émouvoir de cette possible désignation – « élire Alexandre Prokoptchouk au poste de président reviendrait à confier à un renard la responsabilité d’un poulailler », écrivent-ils.

« Confier à un renard la responsabilité d’un poulailler »

Devant la montée des crispations, Moscou a réagi. Dans un communiqué publié mardi, le ministère russe de l’intérieur a dénoncé « une campagne dans les médias occidentaux pour décrédibiliser le candidat russe ». « Nous jugeons inacceptable la politisation d’Interpol, une organisation professionnelle internationale qui réunit les efforts de 192 pays membres dans la lutte contre la criminalité transnationale et le terrorisme », fustige sa porte-parole, Irina Wolk.

« Bien sûr nous soutenons la candidature russe », a souligné pour sa part, Dmitri Peskov, le porte-parole du Kremlin, en dénonçant « une forme d’ingérence dans le processus électoral et les élections d’une organisation internationale ». Mercredi, M. Prokoptchouk devrait être opposé au Sud-Coréen Kim Jong-yang.

A quoi sert Interpol ?

Interpol est une organisation internationale visant à prévenir et à combattre la criminalité et le terrorisme. Elle permet à ses cent quatre-vingt-douze pays membres de transmettre, d’échanger et de consulter des informations policières, même s’il n’existe aucune relation diplomatique entre eux. Son président est élu par l’assemblée générale, composée de délégués désignés par chaque pays membre, pour un mandat de quatre ans.

Créée en 1923 à Vienne sous le nom de « Commission internationale de police criminelle«  (CIPC), elle passe sous le contrôle de l’Allemagne nazie en 1938 à la suite de l’annexion de l’Autriche. La plupart des pays mettent alors fin à leur participation, et la CIPC cesse d’exister en tant qu’organisation internationale. Elle ne renaît qu’au lendemain de la deuxième guerre mondiale, en 1946, sous le nom d’« Interpol », dont le siège est en France.

Politiquement neutre, elle n’a pas le droit d’intervenir dans les affaires ne concernant qu’un pays membre. Ses activités concernent le trafic et la production de drogue, le terrorisme, le blanchiment d’argent, le crime organisé et la criminalité transnationale.