A la frontière entre l’Espagne et Gibraltar, en 2017. / JORGE GUERRERO / AFP

« A ce jour, je regrette de dire qu’un pays aussi proeuropéen que l’Espagne votera, s’il n’y a pas de changement, non au Brexit. » Le président du gouvernement espagnol, le socialiste Pedro Sanchez, a été on ne peut plus clair, mardi 20 novembre : si l’accord de sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne ne précise pas noir sur blanc que le sort de Gibraltar, une fois le Brexit consommé, devra être traité à part, lors de discussions bilatérales entre Madrid et Londres, l’Espagne s’opposera au texte.

La question de Gibraltar est l’un des derniers cailloux dans la chaussure de Michel Barnier, le négociateur en chef pour les Européens, qui compte bien avoir définitivement aplani les rares points de friction demeurant entre Londres et Bruxelles avant le sommet « spécial Brexit » du dimanche 25 novembre.

Les Espagnols tiennent à sécuriser un droit de veto sur le statut de Gibraltar dans le cadre de ce qu’on appelle, à Bruxelles, la « relation future » entre le Royaume-Uni et l’Union européenne, toujours à négocier après le Brexit effectif le 29 mars 2019.

Cette prétention n’est pas nouvelle. Lors du Conseil européen du 31 mars 2017, l’Espagne avait obtenu un pouvoir de veto sur toutes les décisions touchant à ce territoire situé à la pointe sud de l’Andalousie, qu’elle revendique historiquement. Depuis mars dernier, le « Rocher », qualifié de colonie britannique par les Nations unies, de « paradis fiscal » par Madrid et de territoire d’outre-mer par Londres, a fait l’objet d’intenses négociations entre des délégations britanniques – représentants de Gibraltar inclus – et espagnoles.

Confusion dans l’article 184

Un protocole spécial sur Gibraltar a ainsi été joint à l’accord du Brexit, tout comme pour Chypre ou l’Irlande du Nord. Il garantit la libre circulation des 14 000 travailleurs transfrontaliers durant la période de transition, définit la procédure de négociation future entre Londres et Madrid, et prévoit déjà la création de trois commissions bilatérales pour aborder six grandes questions, des droits des travailleurs frontaliers à la lutte contre la contrebande de tabac, en passant par la pêche, l’environnement ou la coopération fiscale, policière et douanière. A priori, Madrid a donc obtenu gain de cause.

Mais l’article 184, ajouté tardivement au brouillon de l’accord du Brexit, a provoqué une certaine inquiétude en Espagne. L’avocat général de l’Etat estime en effet que derrière ce texte confus de six lignes, qui lie la « relation future » de l’UE et le Royaume-Uni à la « déclaration politique » qui doit encore être prononcée et à des négociations communes, il est possible que soit inclus implicitement Gibraltar.

« Il faut qu’il soit clair que ce qui se négocie concerne un cadre territorial qui n’inclut pas Gibraltar », a lancé lundi à Bruxelles le ministre espagnol des affaires étrangères, Josep Borrell. « Le langage des veto et des exclusions devrait être un langage du passé », a réagi à Gibraltar le ministre principal Fabian Picardo, dans un communiqué assurant que le gouvernement britannique « n’exclura pas Gibraltar des négociations sur la relation future avec l’UE ».

La crainte, pour l’Espagne, est que Gibraltar soit englobé dans le « territoire douanier unique » imaginé par Bruxelles pour le Royaume-Uni, sans avoir son mot à dire. Pas question pour Madrid de prendre ce risque alors que le Brexit peut lui permettre de faire pression sur le Rocher, sur sa fiscalité très avantageuse, et sur la transparence financière ou la lutte contre la contrebande de tabac, insuffisantes selon les Espagnols.

Rencontre entre May et Juncker

Cette préoccupation peut-elle faire dérailler le Brexit dans la toute dernière ligne droite ? Personne n’y croit vraiment à Bruxelles, mais les inquiétudes espagnoles sont quand même prises très au sérieux par les diplomates, qui travaillent d’arrache-pied pour contenter Madrid avant la fin de cette semaine, en tentant d’amender à la marge le projet de traité.

Le sujet devait être au menu du rendez-vous entre Jean-Claude Juncker, le président de la Commission européenne, et Theresa May, la première ministre britannique, mercredi 21 novembre à Bruxelles. « Nous sommes au courant des soucis du gouvernement espagnol et nous y travaillons », assurait mardi Margaritis Schinas, le porte-parole en chef de la Commission.