Dans les bureaux de l’AFP, à Paris, en avril. / PHILIPPE LOPEZ / AFP

Confrontée à une chute de ses revenus, la presse entraîne, dans ses déboires, les agences qui lui fournissent, sept jours sur sept et vingt-quatre heures sur vingt-quatre, une partie de ses informations, photos et vidéos. Le diagnostic n’est pas nouveau, mais ses répercussions se font, plus que jamais, ressentir à l’Agence France-Presse (AFP) et chez Thomson Reuters, toutes deux membres du trio de tête des agences mondiales, au côté de l’américain Associated Press.

Le 12 novembre, Reuters a annoncé, en interne, une vaste réorganisation de ses bureaux européens. En Italie, 16 postes de journaliste sur 45 seront supprimés, et 10 emplois sur 120 sont menacés en Allemagne, sans qu’il soit précisé si ces départs seront contraints. Les rédactions de Madrid et de Lisbonne ont, elles, appris mardi 20 novembre qu’elles allaient fusionner.

Le bureau parisien, avec ses 75 journalistes, n’est, pour l’heure, pas concerné, « mais tout porte à croire qu’il sera le suivant », redoute l’un de ses rédacteurs. Le plan dévoilé par Reuters vise à augmenter les effectifs de son centre de Gdynia, dans le nord de la Pologne, où, comme dans celui de Bangalore, dans le sud de l’Inde, des journalistes produisent principalement de brefs bulletins financiers en anglais. Cela doit « laisser plus de temps aux reporters des bureaux pour travailler sur des informations exclusives », a déclaré la direction dans un courriel envoyé en interne.

L’Etat appelé à l’aide

Un argumentaire qui ne convainc guère les agenciers du groupe canado-britannique. « On est dans une logique de délocalisation pour recourir à une main-d’œuvre bon marché », estime un délégué syndical à Paris. Un mouvement de grève est envisagé à l’échelle européenne.

Quatrième agence mondiale, l’allemand DPA a, de son côté, annoncé mardi le licenciement de 40 de ses 50 journalistes hispanophones, selon les informations du site spécialisé Turi2, confirmées au Monde par la direction.

L’AFP a vu ses recettes commerciales fondre de 10 millions d’euros depuis 2014

L’AFP s’apprête, elle aussi, à réduire la voilure. Nommé PDG en avril, Fabrice Fries entend économiser 14 millions d’euros sur la masse salariale d’ici à 2023, à travers la suppression nette de 125 postes, soit 5 % des effectifs, sans licenciement. Pour financer les indemnités de départ et ses investissements, l’agence a demandé à l’Etat un soutien de 17 millions d’euros dans le cadre du fonds pour la transformation de l’action publique. En vain : « Nous avons appris début novembre que, l’AFP n’étant pas une entreprise publique, elle n’y était pas éligible », indique M. Fries, qui en appelle toujours à une aide de l’Etat, et n’exclut pas de vendre le siège historique de l’agence, situé place de la Bourse, à Paris.

Contrats résiliés ou renégociés

En tant que pourvoyeuses d’informations brutes aux médias, les agences ont essuyé la crise traversée par leurs clients. L’AFP a vu ses recettes commerciales fondre de 10 millions d’euros depuis 2014 et enregistrera, en 2018, une cinquième année d’affilée de déficit. « Quand ils n’ont plus les moyens d’être abonnés à l’Agence, les médias résilient leur contrat ou le renégocient largement à la baisse », explique Philippe Faye, représentant du personnel au conseil d’administration de l’AFP.

L’équation est moins délicate pour Thomson Reuters. Le fonds américain Blackstone, à qui le groupe a, le 1er octobre, cédé 55 % de ses terminaux financiers, sa branche la plus rentable, va lui verser une enveloppe annuelle de 280 millions d’euros sur trente ans. Mais son activité d’agence de presse a encore vu son chiffre d’affaires reculer de 4 % au troisième trimestre.

Alors que les contours de la directive européenne sur le droit d’auteur sont actuellement négociés à Bruxelles, les agences bataillent pour profiter de cette manne financière. « Elles sont légitimes à être incluses dans le périmètre des médias rémunérés par Google et Facebook pour leur contenu, et sont soutenues par les éditeurs dans ce combat commun, soutient M. Fries. Dans tous les cas, nous bénéficierons indirectement de ce droit d’auteur, car les éditeurs, qui sont nos clients, se porteront mieux grâce à ces rétributions. »