Theresa May devait rencontrer Jean-Claude Juncker, mercredi 21 novembre, en fin d’après-midi à Bruxelles, afin d’aplanir les derniers sujets de tension entre Londres et les Européens. Au menu de la première ministre britannique et du président de la Commission européenne : Gibraltar, la pêche et des questions liées au « territoire douanier unique » que Bruxelles propose à Londres pour surmonter la problématique question irlandaise.

Les diplomates et les négociateurs britanniques et européens sont sur les nerfs : toutes ces questions doivent être réglées avant dimanche 25 novembre, pour un sommet spécial Brexit dont personne n’a envie, à ce stade, de remettre en cause la tenue. Ce rendez-vous au sommet entre Mme May et ses 27 homologues doit couronner dix-sept mois d’intenses négociations, en attendant des ratifications nécessaires par le Parlement européen et par les députés britanniques. C’est surtout le feu vert de ces derniers, courant décembre, qui reste problématique.

  • Gibraltar

JORGE GUERRERO / AFP

Les Espagnols réclament de rouvrir à la marge les 585 pages du traité de divorce bouclées mi-novembre. Ils veulent y faire figurer en toutes lettres un droit de veto sur la situation du territoire de Gibraltar, dénoncé comme une colonie britannique, après le Brexit. Le premier ministre espagnol, Pedro Sanchez, a prévenu, mardi 20 novembre, qu’il n’endosserait pas le projet d’accord sans une mention explicite dans les textes du divorce, de ce droit de veto de Madrid sur l’avenir du rocher.

Contenter les Espagnols risque de rouvrir la boîte de Pandore des demandes d’amendement du traité de divorce, alors que Michel Barnier, le négociateur en chef pour l’UE, comptait avoir définitivement bouclé sa rédaction. Mais les équipes travaillent d’arrache-pied pour parvenir à une solution dans les jours qui viennent : personne n’imagine que le Brexit va dérailler à cause de la question de Gibraltar. « Il y a encore des objections en Espagne. Je ne peux pas vous dire précisément comment nous allons résoudre ce problème mais j’espère qu’il sera résolu d’ici dimanche », a déclaré la chancelière Angela Merkel mercredi matin.

  • La pêche

Aucun accord sur la pêche n’a été conclu dans le cadre du « filet de sécurité » pour l’Irlande prévu par Londres et Bruxelles dans l’accord de retrait, et destiné à éviter absolument le retour d’une frontière physique entre Irlande du Nord et République d’Irlande. Or, ce filet de sécurité, qui propose d’instaurer un « territoire douanier unique » entre le Royaume-Uni et l’UE pour les biens industriels et agricoles, a de bonnes chances de devenir réalité après la fin de la période de transition (au plus tôt au 1er janvier 2021).

Une série de pays menés par la France (Pays-Bas, Danemark, Suède, Espagne, Portugal, et même Allemagne) craignent alors que l’accès de leurs pêcheurs aux eaux territoriales britanniques, très poissonneuses, ne soit pas garanti. Le traité stipule pour l’instant qu’un accord entre Londres et Bruxelles sur la pêche doit survenir avant le 1er juillet 2020, mais cette mention ne leur paraît pas suffisante.

Les pays concernés plaident pour des engagements supplémentaires dans le cadre de la « déclaration politique » accompagnant le traité de divorce, et censée esquisser la « relation future » entre Londres et les Vingt-Sept après le Brexit. Elle comptait 7 pages mi-novembre, mais s’est épaissie désormais à une grosse vingtaine de pages.

Brexit : ce que prévoit le projet d’accord sur la pêche

Les partisans de la sortie de l’UE voyaient dans le Brexit une occasion de rajeunir une industrie qui rapporterait des milliards de livres, en s’inspirant de l’Islande. Sortir de l’UE permettrait de garder un contrôle total sur les eaux de pêches britanniques – que le Royaume-Uni devait jusque-là partager avec les pêcheurs européens – et faire sauter les quotas de pêche imposés par l’UE. Il leur fallait toutefois éviter que l’UE ne leur impose des droits de douane trop importants pour exporter leur production (75 %).

Ce qui a été décidé : Le problème a été repoussé à un accord futur, qui devra être négocié avant juillet 2020. En attendant, les pêcheurs européens gardent l’accès aux eaux britanniques, et aucun droit de douane n’est pour l’instant instauré.

L’UE a toutefois fait savoir qu’elle instaurerait automatiquement des droits de douane sur les produits de la pêche si Londres fermait l’accès à ses eaux – ce qui est un revers de taille pour les pêcheurs d’outre-Manche.

  • Le risque du dumping économique

Toujours dans le cadre de ce « filet de sécurité » irlandais, conçu comme une assurance mais ayant de bonnes chances d’entrer en force à la fin de la période de transition, le Royaume-Uni participerait à une Union douanière permettant à ses produits de circuler assez librement dans l’Union, mais ne serait tenu qu’à des « clauses de non-régression » sur les sujets liés à l’environnement, à la fiscalité ou au droit du travail.

Les Britanniques s’engageraient à respecter les règles européennes existantes à date du Brexit sur ces domaines, mais pas à adapter leur droit à celui de l’UE, quand il évoluera. C’est la porte ouverte, craint-on à Bruxelles, Paris ou Amsterdam, à des risques de dumping économique de la part des Britanniques que ce soit sur le plan environnemental, fiscal ou social.

Comment prévenir de telles dérives potentielles ? Les Européens comptent muscler la déclaration politique accompagnant le traité du divorce et devant également être endossée par les 28 dirigeants dimanche. En cas de blocage britannique persistant, Paris pousse à la rédaction d’un troisième document, une déclaration à 27, destinée à souligner encore plus clairement ces préoccupations.

  • La prolongation de la transition et un commerce « sans entraves »

Dernières questions en suspens : la période de transition, et une relation commerciale future possiblement « sans entraves ». Michel Barnier a proposé que la période de transition, s’ouvrant juste après le Brexit et censée laisser le temps aux parties de négocier leur « relation future », puisse être rallongée une fois, jusqu’à fin 2022. Pour l’instant, elle n’est censée courir que jusqu’au 31 décembre 2020. La balle est dans le camp de Theresa May qui doit répondre à cette proposition avant dimanche : la date de fin de la période de transition doit figurer en toutes lettres dans le traité de retrait. 

Enfin, la première ministre britannique insisterait pour que figure dans la déclaration politique la mention d’un accord commercial futur « sans frictions », entre Londres et les Vingt-Sept, dans le but rassurer les Brexiters et les unionistes nord-irlandais. Un accord futur sans frictions – sans contrôles – entre les parties rendrait inutile l’activation du filet de sécurité irlandais que ces partenaires de Mme May contestent fortement. Mais pas question de préjuger ainsi de l’avenir et d’une négociation qui n’a même pas commencé, estiment les Vingt-sept à Bruxelles.