« La tendance semble être à l’élévation du niveau d’exigence et à la saturation du temps d’enseignement qui interdit toute démarche de mise en activité des élèves » (Le ministre de l’éducation, Jean-Michel Blanquer, quittant l’Elysée le 21 novembre). / ALAIN JOCARD / AFP

Tribune. Le Conseil supérieur des programmes (CSP) traverse une phase difficile de son histoire qui a amené ses anciens membres à rendre publique une tribune dénonçant le manque de transparence, de collégialité et de démocratie de son fonctionnement.

Les futurs programmes de lycée, fabriqués dans ces conditions, seront-ils à la hauteur des attentes des nouvelles réformes des lycées généraux et technologiques et des lycées professionnels, bâties à marche forcée, après les annonces ministérielles du 28 février et du 28 mai 2018 ? Les projets qui viennent d’être soumis à une brève et expéditive consultation des enseignants, pour les voies générales et technologiques, pourront-ils être encore modifiés autrement qu’à la marge ? Quel lycée commencent-ils à esquisser ? Le lycée d’une démocratisation assumée, prenant en compte et complétant les acquis du « socle commun de connaissances, de compétences et de culture » et conduisant tous les lycéens à une culture scolaire commune et à l’élaboration progressive de choix qui se concrétiseront ensuite dans des formations post-baccalauréat ouvertes ?

La lecture de ces textes fait apparaître un tout autre projet. Celui d’un lycée presque entièrement consacré à assumer précocement, dès le deuxième trimestre de seconde, sa part de sélection, par le choix de spécialités dont l’enseignement supérieur aura fléché les débouchés. Spécialités dont la répartition entre les lycées, décidée par les recteurs, révèle déjà de fortes inégalités et dont les choix seront beaucoup plus contraints que le rapport Mathiot ne le laissait escompter (« Baccalauréat 2021. Rapport remis par Pierre Mathiot », 24 janvier 2018, voir lien PDF).

On sent, aujourd’hui, à la lecture des programmes de spécialités, une confusion entre un lycéen et un étudiant. On peut d’ailleurs s’interroger sur les thèmes et les couplages de certaines de ces spécialités. Le ministre les a imposés sans les débats qui auraient peut-être montré d’autres urgences. Pourquoi de la géopolitique plutôt que des sciences de l’environnement ou de la sociologie, d’autant que les sciences politiques annoncées sont inexistantes dans le projet ?

Manque d’une réflexion en amont

Le programme de la spécialité « mathématiques » de première est à cet égard emblématique : il est plus lourd que l’actuel programme de première S. Un tel programme est inaccessible à des élèves qui ont besoin des mathématiques pour des études médicales ou économiques ou pour devenir professeur des écoles. La réforme n’a pas prévu pour eux un enseignement complémentaire de mathématiques dès la classe de première, voire un enseignement de « réconciliation » avec les mathématiques.

On sent, aujourd’hui, à la lecture des programmes de spécialités, une confusion entre un lycéen et un étudiant

De la même façon, si les quatre thèmes de la spécialité « humanités, littérature et philosophie » peuvent être des entrées possibles, la structure chronologique du programme et les bibliographies ardues qui les accompagnent relèvent davantage de l’enseignement supérieur que du lycée et ne correspondent nullement à ce que pourrait être une initiation à la philosophie avant la classe terminale.

En série technologique industrielle, les programmes de STI2D [sciences et technologies de l’industrie et du développement durable] n’hésitent pas à fusionner dans un même enseignement de spécialité en terminale les quatre spécialités actuelles, et à dispenser un enseignement de sciences physiques et de mathématiques totalement détaché des contextes technologiques, en rupture avec une tradition inductive qui permettait de faire réussir des élèves faibles et éloignés de l’abstraction. On pourrait fournir d’autres exemples de ces choix.

Pour la partie « culture commune », il manque manifestement une réflexion en amont sur ce que doit être la culture d’un lycéen aujourd’hui compte tenu que les lycées doivent accueillir maintenant la presque totalité d’une génération dans son extrême diversité. Les changements de programmes ne s’en préoccupent absolument pas. Les projets font comme si ces lycéens se comportaient comme s’est toujours comportée l’élite qui connaît les codes scolaires. Certains programmes ne cachent pas leur souci de revenir loin en arrière, au temps où le public lycéen était très sélectionné.

Un véritable carcan

Aucun programme ne réfléchit sur les incidences de ses contenus et de leur volume sur la manière d’enseigner et la manière d’apprendre. La tendance semble être également à l’élévation du niveau d’exigence et à la saturation du temps d’enseignement qui interdit toute démarche de mise en activité des élèves. Le programme d’histoire-géographie, très centré sur la France, est presque exclusivement politique, survalorise le « récit » par le professeur.

Aucun programme ne réfléchit sur les incidences de ses contenus et de leur volume sur la manière d’enseigner et la manière d’apprendre

Ces programmes sont un véritable carcan : aucun choix possible, imposition des passages obligés, dates, moments, personnages… Ils définissent le temps qui sera consacré à chaque chapitre. Les élèves devront survoler chaque question, effleurer l’histoire, sans apprendre à penser. Les programmes d’histoire, de français, de la spécialité « Humanités » sont obsédés par les parcours strictement chronologiques comme si la chronologie était le garant d’une pédagogie efficace.

Elle est souvent une illusion qui naturalise les faits historiques ou les textes. Elle ne devient un outil pédagogique que si l’on montre aux élèves que c’est une construction toujours remise en question. La société, l’anthropologie, l’ouverture aux autres cultures sont ignorées ou à peine effleurées.

En SES [sciences économiques et sociales], c’est la nature tridisciplinaire de cet enseignement qui est remise en question au nom de la microéconomie. De la même façon, le programme de français continue de négliger les littératures étrangères et francophones. Les formes d’évaluation envisagées reviennent davantage aux formes les plus académiques ; le nombre d’exercices écrits et d’œuvres imposées augmente. Le CSP méprise la pédagogie et ce qui la rend possible, et croit qu’il suffit d’exiger pour que tous les élèves réussissent.

Denis Paget a été membre du Conseil supérieur des programmes entre octobre 2013 et 2018.