Maitre Gims aux Francofolies de La Rochelle, le 14 juillet 2016. / XAVIER LEOTY / AFP

Après quinze années de carrière dans les banques et le marketing, le Nigérian Mike Dada cherchait une reconversion professionnelle pour « communiquer la force de l’Afrique au reste du monde ». Il a donc décidé de fonder les All Africa Music Awards (Afrima), l’équivalent pour l’Afrique des Victoires de la musique française, dont la quatrième édition se déroule ce week-end à Accra, au Ghana.

En 2014, fauché mais passionné de musique, il s’est rapproché de sponsors privés nigérians et d’un partenaire vivant au Kenya. Ensemble, ils ont organisé cette cérémonie de récompenses pour « créer de l’emploi » et « rendre les Africains fiers », confie-t-il dans la presse locale, et ont reçu le soutien de l’Union africaine. En quatre ans, les Afrima ont réussi à se faire une place de premier rang dans une industrie musicale africaine bouillonnante, innovante et extrêmement prolifique depuis dix ans.

Peu connu en Afrique anglophone

A Accra, ce n’est pas la world music que le continent s’apprête à célébrer, mais l’afropop, ce genre né au Nigeria, mêlant soukous congolais, coupé-décalé ivoirien, highlife ghanéen et dancehall jamaïcain, qui fait danser des centaines de millions de jeunes Africains.

« La musique joue un rôle de passerelle », note Olivier Laouchez, PDG de Trace TV, chaîne de clips française ultra-populaire en Afrique : « Au Sénégal, on écoute les tubes nigérians en boîte de nuit, et le kwaito sud-africain s’exporte sur toutes les radios du continent. Aujourd’hui, les facteurs d’unification de l’Afrique, intercontinentaux ou avec la diaspora, ce sont le sport et la musique. » Une récompense est d’ailleurs réservée aux artistes de la diaspora, avec notamment la Franco-Malienne Aya Nakamura ou le surprenant Afrotronix, artiste d’origine tchadienne qui mixe costume à la Daft Punk, beat house, paroles en espagnol et rythmes sahéliens.

Aya Nakamura, libre et inclassable
Durée : 05:17

Maître Gims, qui passe en boucle sur les radios françaises et a enregistré plus de 200 millions de vues sur YouTube avec « J’me tire », est l’artiste le plus nominé cette année aux Afrima, où il représentera la République démocratique du Congo (RDC). Le Congolais est aussi peu connu en Afrique anglophone que Davido, star absolue en Afrique et au sein de la diaspora (100 millions de vues sur YouTube avec « Fall »), l’est pour l’audience française.

« Les Afrima ont le mérite de nous faire découvrir plein d’artistes du continent », explique à l’AFP Oris Aigbokhaevbolo, journaliste musical pour le site de référence Music in Africa. Le Tanzanien Diamond Platnumz (26 millions de vues sur YouTube avec « Sikomi ») s’est notamment fait connaître après avoir remporté trois Afrima Awards il y a deux ans. Son duo avec le Nigérian Patoranking l’a ensuite fait exploser sur la scène continentale (31 millions de vues pour « Love You Die »).

« Le Ghana a toujours été aussi très bon musicalement, et aujourd’hui on commence à voir des choses vraiment intéressantes de Sierra Leone ou de Gambie », poursuit Oris Aigbokhaevbolo, lui-même élu « meilleur journaliste musical » en 2015. « Ça nous rappelle que le Nigeria n’est pas le seul pays à produire des tubes sur le continent », note-t-il avec une once de fierté toute nigériane.

Duel entre le Nigeria et l’Afrique du Sud

Car malgré les efforts pour créer des catégories régionales (meilleurs artistes d’Afrique de l’Est, d’Afrique centrale, d’Afrique australe…) et donner une chance à des régions moins prolifiques sur les ondes, le Nigeria et l’Afrique du Sud marqueront clairement la soirée. On retrouve les mêmes noms d’année en année, avec les Nigérians Davido, Wizkid, Tiwa Savage et Patoranking, ou les Sud-Africains (particulièrement présents cette année dans la catégorie hip-hop) Nasty-C et Cassper Nyovest.

La playlist de Binetou : Wizkid, l’enfant chéri de Lagos
Durée : 04:15

Les deux pays, plus grosses économies d’Afrique subsaharienne, rivalisent depuis des années en termes de musique. Et aujourd’hui, ce sont quasiment les seuls pays du continent qui disposent de structures professionnelles de production, d’agents et d’avocats pour défendre les droits d’auteur. Même si le Nigeria reste très en retard sur ce point par rapport à son rival sud-africain, les artistes y profitent d’un marché local de 190 millions d’habitants qui booste automatiquement les audiences.

« Nous avons dû limiter les titres nigérians pour “Djouba”, notre nouvelle émission de classement des hits africains, raconte le PDG de Trace TV. Sinon ils auraient phagocyté tout le continent ! » Le Nigeria mène clairement la révolution de l’afropop depuis dix ans. Reste à voir si samedi soir, lors de la cérémonie, ils maintiendront leur avance face à un continent qui veut de plus en plus se faire entendre et être écouté.