Canal+, lundi 26 novembre à 21 h 09, série

Les séries hospitalières sont légion et, si l’on ne ­savait pas que Thomas Lilti a adapté Hippocrate de son film du même nom, sorti en 2014, on pourrait la prendre a priori pour une énième et pas forcément utile déclinaison du genre. Tout au contraire : la ­version sériée en six épisodes de près d’une heure s’impose comme un vrai renouvellement, servie par une réalisation « coup de poing » qui laisse le spectateur groggy mais ému.

Au premier jour de leur stage à l’hôpital, deux jeunes internes débutants (le duo formé par Zacharie Chasseriaud et Alice Belaïdi) se retrouvent livrés plus ou moins à eux-mêmes : la plupart des chefs de service de l’établissement sont mis en quarantaine en raison d’une possible contagion et les infirmiers sont débordés.

A leurs côtés, une interne plus expérimentée (Louise Bourgoin, stupéfiante dans ce qui pourrait bien être son meilleur rôle) et un jeune médecin d’origine albanaise, dépêché du service de médecine légale pour aider à réparer les vivants. Karim Leklou compose avec une présence étonnante le rôle de ce malmené à la mélancolie lourde et résignée. Les situations et les personnages de la série sont connexes à ceux du film mais renouvelés et en plus grand nombre. Les acteurs sont différents, à l’exception de l’infirmière en chef, jouée comme dans le film par Sylvie ­Lachat – présente dans tous les films du réalisateur –, d’une étonnante « vérité » de jeu.

La caméra de Lilti (né en 1976, qui fut médecin jusqu’en 2014) filme les patients avec autant de sensible empathie que dans ­Médecin de campagne (2016) et s’intéresse beaucoup plus que dans le film à la vie intime et aux relations des jeunes médecins, sans que jamais l’anecdote vienne occuper le premier plan.

Rien d’un film « allongé »

Parmi les figures nouvelles qui éclairent et affinent le propos du film original, on notera le rôle du vieux médecin de ville appelé à la rescousse, qui compense sa méconnaissance des pratiques médicales récentes par un bon sens, une mémoire et une expérience salvateurs. Jackie Berroyer l’incarne de manière juste et bouleversante. L’arrivée de son personnage relance de surcroît efficacement l’action d’une série qui n’a rien d’un film « allongé », mais fait siens les ressorts dramatiques propres au genre. On notera que la fin du dernier épisode, laissée en suspens dramatique, ouvre la voie à une deuxième saison, à laquelle travaillent les parties prenantes d’Hippocrate.

Cette série fait un constat sans pitié et parfois terriblement inquiétant de l’état fragile de l’institution et des personnels hospitaliers

Autre thématique abordée, les réassignations de genre sur des « F to M » (« Female to Male »), c’est-à-dire des femmes devenant hommes, que Lilti traite de manière presque exclusivement clinique. Mais chacun comprendra, au prix d’images dérangeantes et grâce à la forte incarnation du comédien trans Shawn Delair, que ce cheminement d’un genre à l’autre n’est pas une sinécure.

Cette série fait un constat sans pitié et parfois terriblement inquiétant de l’état fragile de l’institution et des personnels hospitaliers. En dépit de scènes presque insoutenables, le trait ne semble jamais forcé. C’est grâce à la force, à la subtilité et à la profonde humanité du propos, du jeu et de la réalisation, qui font d’Hippocrate un chef-d’œuvre du genre.

Lire la critique de « Première année »  : Faire médecine, à s’en rendre malade

Hippocrate, série créée et réalisée par Thomas Lilti. Avec Louise Bourgoin, Géraldine Nakache, Alice Belaïdi, Zacharie Chasseriaud, Anne Consigny, Jackie Berroyer, Karim Leklou, Sylvie Lachat, Eric Caravaca (Fr., 2018, 8 × 52 min). www.mycanal.fr