La ministre Annick Girardin s’est glissée parmi les manifestants à La Réunion pour écouter leurs revendications, mercredi 28 novembre. / RICHARD BOUHET / AFP

Annick Girardin, la ministre des outre-mer, était attendue avec la plus grande impatience par les « gilets jaunes » à La Réunion. Jugée tardive, son arrivée sur l’île mercredi 28 novembre au matin, alors que la vie quotidienne de l’île est à l’arrêt depuis douze jours, a été marquée par des échanges extrêmement animés avec les manifestants. Beaucoup d’entre eux ont le sentiment d’être oubliés, voire méprisés par le gouvernement le reste du temps. La ministre a réédité la méthode utilisée à Mayotte plus tôt cette année : elle s’est faufilée dans la foule au premier barrage, à la sortie de l’aéroport, pour écouter la population puis dialoguer.

Accueillie par environ deux mille personnes, sous les sifflets et au son de « Macron démission », elle est parvenue à se faire entendre à l’aide d’un mégaphone. Au milieu d’une marée jaune électrique, elle a déclaré d’emblée : « Je suis ici pour vous dire que j’ai entendu. Je sais que La Réunion souffre depuis déjà longtemps. » Puis, c’est dans la cacophonie qu’elle a distribué la parole à des manifestants, à bout, qui lui ont exposé pêle-mêle leur ras-le-bol et les difficultés de leur quotidien, dans ce département où 40 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, où le chômage est record (23 %) et où le niveau général des prix à la consommation est plus élevé de 7,1 % qu’en métropole. « Rendez-nous notre pouvoir d’achat ! », entendait-on.

« Je ne vais pas trouver les solutions toute seule. Je vais aller à la rencontre de toutes les communes si vous me laissez passer », a souligné la ministre, qui a demandé à ce que soit levé la vingtaine de barrages déjà érigés dans la matinée. « La Réunion est l’un des territoires des plus inégalitaires. Vous avez raison, vous avez droit à plus de justice, et on va y travailler ensemble », a-t-elle martelé. Pour ce faire, Annick Girardin a reçu, en fin de matinée, à la préfecture des représentants de « gilets jaunes » (dont la légitimité a par la suite été remise en cause par d’autres manifestants, dans la rue), avant de discuter avec les syndicats et des maires du département.

Manifestants réunionnais, le 28 novembre, lors de la venue d’Annick Girardin. / RICHARD BOUHET / AFP

Des mesures appliquées dès le 1er janvier

Au cours de la première table ronde, elle a annoncé qu’un site Internet, Transparence, serait créé « pour que chacun voie les dépenses réalisées à La Réunion », comme cela a été fait pour la Guyane et Mayotte. « Chaque Réunionnais doit savoir à quoi servent ses impôts », a-t-elle commenté. Le nombre de barrages routiers était toujours très important à l’issue de cette rencontre qui a duré plus de trois heures et demie. Plus d’une trentaine était recensé dans l’après-midi. « On attendait qu’elle nous propose quelque chose de concret », déploraient certains « gilets jaunes ».

Annick Girardin a fini par annoncer, en début de soirée, des premières « mesures d’urgence », dont l’entrée en vigueur se fera au 1er janvier 2019 : l’augmentation de la prime d’activité de 360 euros par an ; la baisse de la taxe d’habitation pour 80 % des foyers, « qui permettra de rendre aux Réunionnais 65 millions d’euros de pouvoir d’achat » ; la revalorisation du minimum vieillesse et de l’allocation adulte handicapé à 900 euros par mois (ils s’établissent actuellement à respectivement 833,20 euros et 860 euros à taux plein) ; l’exonération de cotisations salariales des heures supplémentaires pour tous les salariés, « ce qui permettra un gain de 250 euros par an » ; la prise en charge à 100 % par la Sécurité sociale des frais pour les lunettes, soins dentaires et prothèses auditives pour tous les Réunionnais ; le maintien de la CMU pour les plus fragiles ; la création par la CAF de 1 500 nouvelles places de crèches dans les « territoires fragiles » ; l’élaboration d’un programme pour la baisse des produits alimentaires pour les tout petits ; la mise en place de petits-déjeuners gratuits dans les écoles ; la multiplication des offres d’accompagnement pour les jeunes avec une obligation de formation ; des moyens supplémentaires pour les missions locales et pour l’accompagnement vers l’emploi des allocataires du RSA, mais aussi pour les associations de l’île et les collectivités, assortis, pour ces dernières, « d’exigence de suivi et de résultat ».

Ces mesures seront suivies par d’autres, a précisé Annick Girardin, qui a conclu son intervention en demandant une nouvelle fois à ce que la vie reprenne le plus vite possible sur l’île : « Le mouvement n’est pas sans conséquence. Je pense aux 465 entreprises qui ont déjà demandé à bénéficier du chômage partiel pour plus de six mille salariés. »

Reste à savoir si ces annonces satisferont les « gilets jaunes » dès ce jeudi, au point d’apaiser leur courroux. Rien n’est moins sûr. A l’issue de l’allocution, des Réunionnais s’offusquaient de n’avoir rien entendu au sujet d’une abolition des taxes ou d’une revalorisation du smic. Alain, un agent immobilier de 53 ans mobilisé depuis le 17 novembre, a confié au Monde dans la soirée : « Je serai sur le barrage dès 5 h 45 demain matin. On verra avec les autres si on maintient ou non le mouvement, mais pour le moment, ces annonces manquent de clarté. Et je pense qu’on peut encore faire plus. »