Un skieur sur la piste de Pyeongchang, lors des derniers JO d’hiver. / MIKE SEGAR / REUTERS

Vous voulez perdre un référendum ? Demandez conseil au Comité international olympique (CIO) : le rejet populaire, le 14 novembre, de la candidature de Calgary (Canada) pour l’organisation des Jeux olympiques 2026, était le neuvième de suite. Si le CIO a souvent gardé ses distances avec ces scrutins, ce n’est plus le cas : l’instance de Lausanne a saisi l’urgence d’en finir avec cette vague de revers, qui fait rétrécir les listes de candidats aux JO.

Elles n’étaient que deux délégations, mercredi 28 novembre à Tokyo, à présenter leur candidature aux Jeux olympique d’hiver 2026 aux représentants des comités nationaux olympiques : Stockholm et Milan-Cortina d’Ampezzo. Deux survivants d’un parcours du combattant qui a vu disparaître cinq autres candidats : Erzurum (Turquie), Graz (Autriche), Sapporo (Japon), Sion (Suisse) et Calgary (Canada).

Un renversement spectaculaire par rapport à la fin du siècle dernier, lorsque les candidatures se multipliaient, mais dans la lignée des JO 2018 et 2022 où deux villes seulement s’étaient affrontées. « Aujourd’hui, on a une liste de 34 villes intéressées par des JO ou les Jeux de la jeunesse, affirme Christophe Dubi, directeur des Jeux olympiques au CIO. C’est une liste qui ferait la fierté de la plupart des organisations et des “business”, mais ce qui compte, c’est d’avoir des projets pertinents. On ne cherche pas 25 candidatures et 24 perdants. On n’a besoin d’un seul bon projet. »

Concernant 2026, Christophe Dubi pourrait être servi : le projet suédois est tenu à bout de bras par le CIO et le Comité national olympique, mais la municipalité et le gouvernement, minoritaire au Parlement, sont très réservés. Ni Stockholm ni l’Etat ne veulent verser une couronne à ce projet, dont les initiateurs affirment qu’il peut être entièrement financé par des fonds privés.

Milan favori avec un projet à l’économie

Le gouvernement italien, après avoir soufflé le chaud et le froid sur Milan-Cortina d’Ampezzo, s’est récemment engagé par la voix de Matteo Salvini à mettre au pot dans l’éventualité où les riches régions de Lombardie et de Vénétie, ainsi que leurs entreprises, ne suffisaient pas à financer un projet à l’économie. Le projet italien, qui fait figure de favori pour l’élection de la ville hôte en juin, est tout ce que souhaite le CIO de Thomas Bach dans le cadre de son « agenda 2020 », dont l’une des priorités était de rendre les Jeux moins chers : il utilise des installations déjà existantes, quitte à rendre les Jeux beaucoup moins compacts que ceux de Pyeongchang (Corée du Sud), où l’on pouvait rejoindre la totalité des sites en une heure.

Présentation du projet de Milan-Cortina d’Ampezzo, le 28 novembre lors de l’assemblée de l’ANOC à Tokyo. / JUN HIRATA / AP

Après les budgets démentiels de Sotchi 2014, Pyeongchang 2018 et Pékin 2022, l’obsession du CIO est de pouvoir afficher des budgets d’organisation moins importants et d’en finir avec les « éléphants blancs », ces installations construites pour les JO et qui tombent en décrépitude. Pas une ville n’y a échappé depuis des décennies. C’est à ces deux conditions qu’elle pourra rendre les Jeux plus désirables. Elle refuse en revanche de partager davantage les revenus générés par les Jeux, qui servent à financer les fédérations internationales, les comités nationaux et le train de vie confortable du CIO.

« Le CIO n’a pas été suffisamment agressif dans sa communication sur la réalité des coûts ni suffisamment souple pour séduire les candidats potentiels, disait au Monde en février l’ancien directeur marketing du CIO (1988-2004), Michael Payne. Les pays traditionnels des Jeux d’hiver ­regardent ces sommes et se disent : “Impossible de dépenser tout ça.” Mais si vous avez déjà l’infrastructure, le coût des Jeux est de 2 milliards d’euros. » Le budget de Pyeongchang était de 1,76 milliard d’euros ; il est annoncé à moins de 1,5 milliard pour Stockholm et Milan.

« La question économique reste la problématique no 1 »

« On a simplifié les garanties et l’organisation, de façon à ce que le projet économique ne soit pas mis en cause, répond Christophe Dubi. Mais ça reste la problématique no 1, celle qui a fait tomber les projets de Calgary et Sion. Il y a encore énormément de travail pour démontrer que le modèle fonctionne. »

Le drame du CIO est celui de l’époque, se lamente le Suisse : les gens ne verraient pas plus loin que leur intérêt. « On n’est plus dans des grands projets de société portés par des gouvernements ou des associations mais dans une relation beaucoup plus individuelle. Les gens se demandent : “Et moi, qu’est-ce que j’y gagne ?” On doit trouver des messages qui résonnent au niveau de l’individu. »

Les référendums n’auraient-ils pas à voir avec les multiples affaires de corruption dans le monde du sport, y compris dans les attributions des Jeux olympiques ? Une enquête est ouverte en France sur les conditions de l’octroi des JO d’été 2016 à Rio et 2020 à Tokyo. Selon Christophe Dubi, les enquêtes d’opinion dans les villes ayant rejeté les Jeux olympiques mettent en avant quasi exclusivement les conditions économiques. Et jamais les soupçons de corruption.

Affaires de corruption

« L’image du CIO entre en ligne de compte, bien sûr, admet le VRP des JO 2026. Raison pour laquelle en 2014, après son élection, Thomas Bach a dit : “On ouvre la fenêtre, on laisse entrer l’air frais, on tourne la page sur la gouvernance, la façon d’organiser les Jeux, de connecter le mouvement olympique au grand public.” »

Un message qui peine pour l’instant à passer, sans cesse pollué par de nouvelles affaires impliquant des membres du CIO, le plus récemment avec l’influent cheikh koweïtien Ahmed Al-Fahd Al-Sabah.

Le monde de l’olympisme, et particulièrement du CIO, est un terrible entre-soi, habitué aux palaces des grandes capitales et aux salles de congrès suisses. Ces référendums perdus peuvent-ils accélérer sa mue ? Cela lui sera vital, estimait en juin le conseiller national suisse Matthias Aebischer, partisan de Sion 2026 et président du groupe parlementaire sportif : « Dans l’immense majorité des pays démocratiques en Europe, [l’idée olympique] ne séduit plus personne, disait-il au journal Le Temps. Le CIO a désormais un vrai problème. (…) Il faut qu’il se remette totalement en question. D’une part, il doit mettre un terme au gigantisme et à la corruption. D’autre part, il doit s’engager sérieusement pour des Jeux respectueux de l’environnement et donner des garanties financières aux villes organisatrices en cas de déficit. Sinon, les JO d’hiver sont morts ! »