Angela Merkel et Emmanuel Macron, lors d’une rencontre à Berlin, le 18 novembre. / Michael Sohn / AP

Editorial du « Monde ». Qu’est-ce qu’une armée ? La définition communément acceptée dans nos démocraties est celle d’une force composée de troupes capables de combattre, sous la direction d’un commandant en chef et sur la décision d’un pouvoir politique élu, selon des règles d’engagement établies, afin de défendre un pays. Une armée est aussi perçue comme l’un des éléments de la souveraineté d’un Etat.

Existe-t-il une armée européenne ? Non. Peut-elle voir le jour dans la décennie qui vient ? Sans doute pas. Faut-il néanmoins en parler ? Evidemment.

L’idée d’une défense européenne est aussi vieille que l’idée européenne elle-même et, si le débat a connu des degrés d’intensité variables, il ne s’est jamais vraiment éteint. Il vient d’être relancé, à la faveur du centenaire de l’armistice de la première guerre mondiale, avec une remarquable vigueur.

Des propos « très insultants » selon Donald Trump

C’est une petite phrase d’Emmanuel Macron, le 6 novembre, qui a mis le feu aux poudres. Il faut « une vraie armée européenne », a déclaré le président de la République sur Europe 1, pour répondre aux multiples défis du monde moderne. Cette proposition et la mention des Etats-Unis parmi les multiples défis cités ont piqué au vif le président Donald Trump, qui a riposté sur Twitter en jugeant ces propos « très insultants », surtout de la part d’un pays dont la sécurité, comme celle de tous les membres de l’OTAN, est subventionnée par les Etats-Unis.

Pas mécontente de renvoyer le président américain dans ses filets, Angela Merkel a repris, quelques jours plus tard, devant le Parlement européen, la proposition de M. Macron. Il faut, a insisté la chancelière allemande, travailler à la « vision » d’une « vraie armée européenne ». Et cette vision passe par l’élaboration d’une politique d’armement et d’exportation commune.

Ces trois déclarations posent, en réalité, les termes du débat. La relation transatlantique, d’abord, en est une dimension essentielle : la grande majorité des pays européens sont membres de l’OTAN, dont dépend leur défense et à laquelle ils contribuent. Aucun – et certainement pas la France, qui a rejoint il y a dix ans, après une longue absence, le commandement intégré de cette alliance militaire – ne remet en cause l’appartenance à l’OTAN, qui reste la pierre angulaire de la défense de l’Europe.

M. Trump, comme ses prédécesseurs avant lui, a raison de demander aux partenaires européens de l’OTAN d’augmenter leurs budgets de défense, pour un partage plus équitable du fardeau. Mais qui dit partage du fardeau dit aussi partage des responsabilités : il ne peut pas à la fois demander aux Européens d’assurer mieux leur défense et les empêcher d’avoir plus d’autonomie – y compris industrielle.

Deux histoires, deux cultures

Le monde n’est plus celui de 1949, année de la signature du traité de l’Atlantique Nord. Les menaces ont évolué. Cette autonomie est aujourd’hui indispensable aux Européens pour pouvoir intervenir dans des conflits qui les affectent, sans les Etats-Unis, qui ne souhaitent plus être en première ligne. La réaction épidermique de M. Trump est, pour reprendre une de ses expressions, obsolète.

La deuxième dimension du débat est intra-européenne. Mme Merkel évoque une vision à long terme, M. Macron est plus concret. Deux histoires, deux cultures, et autour d’eux, en Europe, une grande diversité de positions. Le chemin sera long, mais Paris et Berlin font un réel effort pour rapprocher leurs positions, en repêchant les Britanniques dans les méandres du Brexit. C’est ainsi que peut naître une armée européenne.