A Calcutta, en Inde, le 1er décembre 2014 pour la Journée mondiale de lutte contre le sida. / Rupak De Chowdhuri / REUTERS

Sous le nom de code « 90-90-90 » se cache une stratégie redoutable contre l’expansion du sida. En 2014, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a fixé un triple objectif pour contenir la maladie à l’horizon 2020. A cette date, 90 % des personnes séropositives doivent savoir qu’elles le sont ; 90 % des personnes infectées doivent recevoir un traitement antirétroviral au long cours ; et 90 % des personnes traitées doivent avoir une charge virale durablement réduite. A deux ans des échéances, l’Afrique est à la peine.

Dans presque tous les pays du continent, l’objectif des « trois 90 » ressemble à un mirage. Seules 66 % des personnes vivant avec le VIH ont eu accès à un traitement antirétroviral en Afrique de l’Est et australe en 2017 ; dans l’Ouest et en Afrique centrale, ce taux chute même à 40 %, a révélé le dernier rapport de l’Onusida. Si globalement la situation est difficile, quelques pays font figure de bons élèves puisque, sur les six Etats de la planète à avoir atteint l’objectif fixé par l’OMS, trois sont africains : le Botswana, l’Eswatini (ex-Swaziland) et la Namibie.

Dépister en ciblant mieux

Partout, la bataille du dépistage reste majeure. Elle est d’autant plus essentielle que « les personnes traitées au long cours ne transmettent plus le VIH, rappelle Joseph Larmarange, chargé de recherche à l’Institut de recherche pour le développement (IRD) à Paris. D’où l’intérêt de la stratégie “on teste, on traite”. Si l’on parvenait à traiter toutes les personnes infectées, on stopperait l’épidémie ». Pourtant, à l’heure actuelle en Afrique de l’Ouest et centrale, seul un séropositif sur deux sait qu’il est contaminé, pointe le rapport de l’Onusida.

Si le dépistage doit être renforcé, il doit aussi être plus précoce. Car il s’agit de battre de vitesse les infections qui « s’invitent » quand le VIH s’est installé dans l’organisme des malades. Plus le dépistage est tardif, moins les patients parviennent à récupérer un système immunitaire efficace. Et donc, plus ils souffrent de tuberculoses avancées, de méningites ou d’autres infections dites « opportunistes ».

Pour autant, de grandes avancées ont été accomplies en Afrique de l’Est et australe. Dans ces zones, les Etats ont mis en place des programmes nationaux de dépistage de masse. Le retard est en revanche important en Afrique de l’Ouest et centrale. Le taux de personnes contaminées y étant relativement faible (0,7 % à 4 % de la population générale), les pays de ces régions n’ont pas misé sur de vastes programmes de dépistage. Ils font porter leur effort sur les populations les plus fragiles que sont les homosexuels, les travailleuses du sexe, les usagers de drogues et les prisonniers.

En s’appuyant sur les associations et les communautés, ils ont développé des stratégies pour aller à la rencontre des malades potentiels. Ce dépistage ciblé s’est révélé efficace chez les travailleuses du sexe régulières, mais peine à atteindre leurs clients ou les prostituées occasionnelles. De même, il est performant chez les jeunes homosexuels masculins, mais ne touche pas pour l’heure leurs partenaires plus âgés. Ce bilan en demi-teinte nécessiterait donc de nouvelles stratégies pour enrayer cette « épidémie cachée ».

Pour mieux atteindre les différentes populations, une arme commence quand même à faire ses preuves : l’autotest. Star, un projet de recherche lancé en 2015 par l’ONG PSI et financé par Unitaid, évalue divers modèles de distribution de ces autotests au Zimbabwe, en Zambie, au Malawi, au Lesotho, en Eswatini et en Afrique du Sud. Ses résultats encourageants ont donné un bel élan à ce développement, et 500 000 autotests devraient être distribués au printemps 2019, dans le cadre du projet Atlas – également soutenu par Unitaid –, en Côte d’Ivoire, au Mali et au Sénégal. « C’est une piste prometteuse, estime Didier Ekouevi, épidémiologiste à l’université de Lomé (Togo). Mais leur diffusion prend du temps, car il faut mettre en place des cadres réglementaires et promouvoir des politiques de mise en œuvre. » Point noir : pour l’instant, le produit est très onéreux.

Prévenir, encore et toujours

Si le « on teste, on traite » reste la façon la plus radicale de lutter contre l’expansion du VIH, d’autres armes ont aussi prouvé leur efficacité pour limiter les contaminations. Le préservatif, d’abord, qui permet une protection individuelle au quotidien. La circoncision, ensuite, qui fait chuter de 60 % le risque de transmission de la femme vers l’homme et a fait l’objet de campagnes massives depuis dix ans en Afrique australe et de l’Est, où près de 19 millions d’hommes ont sauté le pas de l’opération.

A cela s’ajoute une prévention médicamenteuse. Sur ce front, une arme de pointe commence à se diffuser sur le continent : la PrEP, ou prophylaxie pré-exposition. Des personnes séronégatives prennent, en continu ou à la demande, une association de deux antirétroviraux afin d’éviter une contamination lors des rapports sexuels à risque. Après avoir prouvé son intérêt en Europe et aux Etats-Unis, la PrEP s’est aussi montrée efficace au Kenya et en Ouganda auprès des gays, selon un essai mené par l’agence France recherche Nord & Sud sida-HIV hépatites (ANRS). Au Burkina Faso, au Togo et au Mali, des médiateurs se déplacent dans les centres de santé et au sein d’unités mobiles pour dépister les personnes vulnérables et leur proposer la PrEP. En Côte d’Ivoire, un programme à destination des femmes travailleuses du sexe est même en cours d’évaluation par l’ANRS. Preuve que l’inventivité est de mise pour contourner la discrimination, toujours forte.

Traiter de manière durable

Enfin, le troisième front ouvert est celui de la mise à disposition des traitements antirétroviraux à un plus grand nombre de malades. « Ils ont un impact énorme sur la mortalité », relève Joseph Larmarange, de l’IRD. Leur bénéfice a même été chiffré lors d’une étude menée en Afrique du Sud, dans une zone rurale où un adulte sur trois est infecté. Dans cette région, « un programme d’accès aux antirétroviraux, [mis en œuvre] à partir de 2004, a permis un progrès fulgurant : il a fait passer l’espérance de vie, en population générale, de 49 ans en 2003 à près de 61 ans en 2011 ». Soit un gain de douze ans en seulement huit années.

Une fois les personnes dépistées et traitées, il faut aussi s’assurer de l’efficacité du traitement par un suivi régulier de la charge virale dans le sang. Un travail au long cours qui permet de déterminer le moment où la présence du virus devient si faible que le patient n’est plus contaminant. Mais il faut aussi surveiller que le malade n’est pas résistant au traitement. Or, « en Afrique australe et de l’Est, jusqu’à 10 % des patients qui débutent un traitement sont déjà résistants à l’un des principes actifs de la trithérapie », explique le professeur Eric Delaporte, de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) et de l’IRD. Chez les plus jeunes, les chiffres sont plus alarmants encore puisque, « en Afrique australe, 45 % des enfants infectés sont résistants avant même d’être traités » !

Bien qu’essentiel, ce suivi reste difficile car la diffusion et le coût des tests sont des freins puissants. « C’est un enjeu majeur », analyse Eric Delaporte. Au Burundi, en Guinée, au Cameroun et en Côte d’Ivoire, un vaste programme de l’ANRS, lancé en 2013, s’est saisi de cette problématique pour adapter ces tests de suivi des patients au contexte africain et en faire baisser les coûts.

Miser sur les femmes

En Afrique subsaharienne, trois nouvelles infections sur quatre touchent les filles âgées de 15 à 19 ans. Et les jeunes femmes âgées de 15 à 24 ans sont deux fois plus susceptibles de contracter le VIH que les hommes.

On ne vaincra pas le sida, en Afrique, sans s’appuyer sur elles, piliers irremplaçables au sein des communautés. Un grand projet lancé en 2002, Dream, cible ainsi les femmes du continent dans une approche globale de prévention, de dépistage et de thérapie.

Son but : les mobiliser pour soutenir, conseiller et éduquer sur tous les fronts de la guerre contre le VIH. Mais aussi lutter contre la stigmatisation et renforcer les capacités des femmes à se prendre en charge. C’est tout l’enjeu de la démédicalisation, qui consiste à aller chercher les malades là où ils sont.

Grâce à des médiatrices formées, des cellules mobiles vont au-devant des populations les plus fragiles, notamment en milieu rural et sur les lieux de prostitution, ou les reçoivent dans des structures de soin où les femmes se sentent moins jugées et traquées que si elles étaient accueillies par le personnel médical.

Reste que dans bien des pays « jusqu’à un quart des patients sort du soin au bout d’un an », déplore Joseph Larmarange. D’où le défi de la mise au point de traitements « retard » et plus légers à suivre. « Prometteurs, ils donnent lieu à une recherche clinique active », se réjouit le chercheur de l’IRD. Ce qui signifie que d’ici à quelques années les Africains pourraient se soigner ou prévenir l’infection grâce à des patchs ou à des injections d’antirétroviraux tous les deux mois.

Le Monde Afrique propose une série de reportages, de décryptages et d’entretiens pour raconter l’énorme travail de terrain réalisé sur tout le continent et la résilience des communautés pour venir à bout de cet ennemi qu’est le VIH. Car en la matière, la guerre continue.

Cet article fait partie d’une série réalisée dans le cadre d’un partenariat avec Unitaid.