Dépistage du VIH auprès des prostituées d’un quartier chaud de Ouagadougou, au Burkina Faso, le 8 novembre 2018, avec l’association Yerelon+. / Sophie Douce

Tampouy, 18 heures. La nuit tombe sur le « quartier des prostituées nigérianes ». Dans la périphérie de la capitale, au milieu d’une cour entourée de chambres de passe, un groupe de jeunes filles, minijupes et talons haut, patiente dans la pénombre. Une certaine nervosité se lit sur leurs visages, elles viennent de passer, jeudi 8 novembre, un test de dépistage du VIH. « Numéro 23 ! » C’est au tour de « Princess », 21 ans, de connaître son résultat. Une infirmière lui glisse discrètement un petit papier, à l’abri des regards. « Dieu merci ! », souffle la jeune femme aux longues tresses roses en lisant le verdict : « négatif ».

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Ce soir-là, un seul cas positif sera détecté sur les 72 femmes testées. Une chance, car selon les chiffres du Conseil national de lutte contre le sida, les prostituées ont cinq fois plus de risques d’être contaminées que le reste de la population au Burkina Faso, qui compte près de 94 000 personnes séropositives pour plus de 20 millions d’habitants. Les femmes restent les plus touchées par l’épidémie avec un taux de contamination de 1 % contre 0,6 % pour les hommes.

Créer une relation de confiance

« On prend des risques, parfois les clients nous demandent de faire ça sans préservatif contre une plus grosse somme d’argent », confie Princess. « Je ne veux pas aller dans les centres de santé, c’est loin et j’ai peur du regard des médecins. Ici, l’association vient s’occuper de nous, on peut se faire dépister en dix à quinze minutes de manière anonyme. » Une autre jeune Nigériane lance un « je voulais faire un test pour être sûre, je suis rassurée ! », en montrant son test négatif, sourire aux lèvres, avant de filer pour accueillir ses premiers clients.

Souvent isolées, stigmatisées, les travailleuses du sexe, particulièrement exposées au risque de transmission, se retrouvent parfois démunies face au VIH. Selon l’Onusida, le virus a tué 2 900 personnes dans le pays en 2017 et 4 300 nouveaux cas ont été enregistrés. A l’instar de nombreux pays de l’ouest et du centre du continent, le Burkina se classe parmi ceux à faible taux de prévalence avec « seulement » 0,8 % contamination sur la population globale. Dans toute la région, la difficulté consiste donc à aller chercher les malades potentiels là où ils sont. C’est-à-dire au sein des communautés les plus fragiles grâce à un dépistage démédicalisé. Les travailleuses du sexe mais aussi les usagers de drogues, les homosexuels et les prisonniers font partie de la longue liste des plus vulnérables, souvent discriminés, voire encore criminalisés dans certains pays.

« Quand on a commencé les filles étaient livrées à elles-mêmes, elles avaient peur d’aller dans les hôpitaux où le personnel médical avait des mots mal placés. On les écoutait à peine, on les insultait. Du coup, beaucoup ne se faisaient pas dépister et les séropositives préféraient acheter des médicaments dans la rue », se rappelle Djénéba Ouedraogo la présidente de Yerelon +, une association de lutte contre le sida créée avec plusieurs prostituées il y a une vingtaine d’années.

Tous les trois mois, ses équipes, composées d’une dizaine de bénévoles, se déplacent de nuit sur les points chauds de la capitale pour proposer tests de dépistage, conseils et préservatifs gratuits. « Ça a pris du temps au début, il a fallu négocier avec les gérants et rassurer les filles. Une fois qu’elles ont compris que nous n’étions pas là pour les dénoncer mais pour les protéger, elles nous ont fait confiance », poursuit-elle.

« Perdues de vues »

Une confiance précieuse, gagnée peu à peu grâce à un réseau d’une dizaine de « pairs », d’anciennes prostituées et d’autres en activité, toutes recrutées et formées pour jouer le rôle de médiatrices. Parmi elles, Deborah, 31 ans, discute avec les proxénètes et convainc les femmes de se faire dépister depuis trois ans maintenant. « On me connaît là-bas, les filles se confient et m’appellent dès qu’elles ont un souci ou une question. Je suis un peu comme leur grande sœur », explique cette bénévole. « Dans ce métier, on ne sait jamais, il y a beaucoup de risques. Tu croises toutes sortes d’hommes, certains peuvent percer le préservatif, on entend des histoires de viols aussi », confie cette mère célibataire, qui « sort dans la rue » pour subvenir aux besoins de ses deux enfants.

Depuis 2008, près de 300 prostituées séropositives auraient ainsi été détectées par l’association, 107 placées sous traitement antirétroviral. Mais faire venir ces populations fragiles jusqu’à la « clinique » de Yerelon +, au nord de la capitale, s’avère parfois le plus compliqué. La démarche reste pourtant indispensable si elles veulent se procurer les médicaments adéquats, fournis gratuitement par la structure, et avoir un suivi.

« Certaines n’ont pas de moyens de transport ou se découragent, c’est un frein », constate Adama Lengané, le médecin bénévole, à son petit bureau. Ce matin-là, il reçoit en consultation une patiente séropositive venue pour des lésions cutanées. « Je n’ai pas pu faire le déplacement avant », s’excuse la femme de 23 ans, qui a mis près de deux heures pour venir à vélo, son bébé sur le dos. « Elle n’a pas pris son traitement pendant six mois, elle a eu un bébé entre-temps, heureusement séronégatif. Ils ont eu beaucoup de chance, glisse le docteur, soulagé, en auscultant l’enfant. Le plus gros souci, ce sont les perdues de vue, il y en a qui changent de numéro de téléphone et disparaissent dans la nature. »

Rassurer, un enjeu crucial

« Accepter la maladie est l’étape la plus difficile. Certaines prennent peur et se disent qu’elles sont condamnées à mort et fuient. Il devient alors très difficile de les retrouver », explique la psychologue Martine Nakoulma. Face à une maladie encore taboue dans le pays, rassurer les prostituées séropositives, dont certaines sont mariées, mères de famille ou encore mineures, est donc crucial.

« On ne prononce jamais les mots prostituée ou travailleuse du sexe” ! On a dû adapter notre langage pour ne pas les stigmatiser davantage. Il faut que les femmes se sentent comme chez elles ici, et pour cela nos portes sont toujours ouvertes. Vous savez, elles cherchent la sympathie. A chaque fois qu’elles sont abordées, c’est pour acheter leur corps. Nous, on ne veut rien d’autre qu’être une oreille tendue, alors ça les apaise », assure la présidente de Yerelon +.

Sa plus grande fierté ? « Voir les patientes grandir : certaines trouvent un travail, se marient et ont même des enfants. ». Surtout, se réjouit Djénéba Ouedraogo, « 75 % des patientes que je suis depuis deux ans ont une charge virale presque indétectable aujourd’hui et vivent normalement. » Une vraie victoire.

Cet article fait partie d’une série réalisée dans le cadre d’un partenariat avec Unitaid.

Le Monde