L’entrée de l’amphithéâtre IV de l’Université Paris-I Panthéon-Sorbonne. / STEPHANE DE SAKUTIN / AFP

Tribune. Edouard Philippe a dévoilé lundi 19 novembre le plan du gouvernement français en matière d’attractivité universitaire. Intitulé « Bienvenue en France », ce plan consiste à augmenter significativement les frais d’inscription en troisième cycle des étudiants extracommunautaires afin, nous dit-on, de mieux financer l’accueil à l’université et d’augmenter le montant des bourses attribuées aux étudiants étrangers.

Avant d’éventuellement juger sur pièce les effets concrets de cette réforme sur les conditions de l’accueil offert à tous les étudiants extracommunautaires, ou même sur le nombre et le montant des bourses à venir, on peut néanmoins anticiper sur les conséquences désastreuses de ce projet pour le continent africain et ses étudiants, dont nous assurons l’encadrement en tant que directeurs de thèses et de masters. Pour mémoire, actuellement, l’inscription en doctorat en France s’élève à 391 euros par an, et la bourse octroyée par Campus France aux doctorants issus du continent consiste en 800 euros versés uniquement lorsque le doctorant séjourne en France dans son université, soit trois mois par an pendant trois ans.

Des conséquences néfastes à long terme

Le coût de la demande de visa s’élève quant à lui à environ 100 euros. Le projet « Bienvenue en France » entend porter le montant de l’inscription en doctorat à 3 770 euros par an, soit une augmentation de près de 1 000 %, à tripler le nombre de bourses (mais pas leur montant) et à développer une incitation à la mise en place de formations en français langue étrangère (FLE) au sein des universités.

Concrètement, cette mesure aura un impact extrêmement négatif sur les étudiants originaires du continent africain. Ils sont à la fois les plus nombreux et les plus fragiles économiquement. En 2015, 298 902 étudiants étrangers étaient inscrits en France. Parmi eux, les étudiants africains représentaient 42,5 % du total (25,7 % étaient issus de l’Union européenne, 17 % d’Asie, 9,1 % des Amériques et 4,3 % du Moyen-Orient). Au-delà de la remise en cause de l’université comme service public que ce projet préfigure, cette mesure est à la fois paradoxale et néfaste.

Au moment où se dessine un mouvement de restitution aux pays africains de biens mal acquis (patrimoine culturel) dans la foulée de la remise du rapport Savoy et Sarr et une amorce d’un processus d’inventaire de la colonisation (guerre d’Algérie, cérémonies du centenaire 1918, déclassification d’un certain nombre d’archives annoncée par François Hollande), la hausse du montant d’inscription constitue un très mauvais signal. La France renonce à accueillir de façon digne une majorité d’étudiants africains et renonce par là même à toute relation privilégiée avec les intellectuels, ingénieurs et cadres africains de demain. Une mesure aux conséquences néfastes à long terme.

Désormais, l’intelligentsia africaine est convoitée par les nouveaux acteurs mondiaux comme la Chine et l’Inde et par les régimes islamistes. Le marché de la connaissance est extrêmement concurrentiel. En 2018, les étudiants africains inscrits en Chine devraient atteindre le chiffre de 80 000. Ils bénéficient de la scolarisation et du logement gratuit et de bourses de 400 euros mensuels.

Un recul pour le moins incompréhensible

L’Arabie saoudite comme la Turquie sont devenus également des pourvoyeurs importants de bourses aux étudiants africains avec des programmes en expansion (en 2018, l’Arabie saoudite passe de la 30e à la 13e place dans la liste des pays pourvoyeurs de bourse, la Turquie de la 27e à la 11e). La réduction du nombre d’étudiants africains dans les universités françaises aboutira également à l’appauvrissement des échanges et de la circulation des idées nécessaire au débat scientifique.

Le désengagement de la France auprès de la jeunesse africaine consacre un renoncement au message universaliste et critique que portent les sciences sociales francophones sur le continent africain, et abandonne à d’autres, dont les idéologues les plus néfastes, le soin de former des cadres ou de transmettre des savoirs au continent. Alors que la région du Sahel fait face à une entreprise islamiste de déstabilisation sans précédent, et que la France y intervient militairement, un tel recul paraît pour le moins incompréhensible.

L’annonce faite par le premier ministre relative à l’augmentation du prix d’inscription des ressortissants non européens va accentuer un phénomène déjà observé : la baisse significative du nombre d’étudiants africains inscrits dans des établissements français et la perte de crédibilité de la France sur le continent.

Privilégier l’inscription de candidats aisés étrangers en augmentant les frais d’inscription, c’est implacablement réduire le nombre des étudiants africains en mesure de s’inscrire en France. C’est refuser de répondre à la demande d’un futur moderne de la jeunesse africaine et c’est renoncer au rôle joué par les universités françaises dans la construction et la diffusion d’une pensée complexe et universelle. Il est indispensable que les frais d’inscription pour les étudiants des pays africains restent les mêmes que pour les étudiants de l’Union européenne.

Frédéric Le Marcis, professeur à l’ENS de Lyon ; Jean-Pierre Olivier de Sardan, directeur de recherche émérite au CNRS, directeur d’études à l’EHESS ; Marie Morelle, maîtresse de conférences à l’Université Paris-1 Panthéon-Sorbonne ; Dominique Darbon, professeur à Sciences Po Bordeaux, direction du laboratoire Les Afriques dans le monde (LAM) ; Pascale Barthélémy, maîtresse de conférences à l’ENS de Lyon ; Bernard Taverne, chargé de recherche à l’IRD ; Cécile Leguy, professeure à l’Université Sorbonne-Nouvelle Paris-3 ; Ivan Sainsaulieu, professeur à l’Université de Lille ; Gaetano Ciarcia, directeur de recherche au CNRS ; Denis Pesche, sociologue au Cirad ; Olivier Leservoisier, professeur à l’Université Paris Descartes ; Jean-Pierre Dozon, directeur émérite d’étude à l’EHESS ; Olivier Nay, professeur à l’Université Paris-1 Panthéon-Sorbonne ; Vincent Foucher, chargé de recherche à Sciences Po Bordeaux ; Eric Jolly, chargé de recherche au CNRS (directeur de l’Institut des mondes africains) ; Stéphanie Tchiombiano, maîtresse de conférences associée à Paris-1 Panthéon-Sorbonne ; Fred Eboko, directeur de recherche à l’IRD ; Rémi de Bercegol, chargé de recherche au CNRS ; Jean-Jacques Gabas, chercheur associé au Cirad et maître de conférences à Sciences Po Paris ; Yannick Jaffré, directeur de recherche émérite au CNRS ; Valéry Ridde, directeur de recherche à l’IRD ; Pierre Encrevé, directeur d’études à l’EHESS ; Jean-Fabien Steck, maître de conférences HDR à l’Université Paris-Nanterre ; Nathalie Bonini, maîtresse de conférences à l’Université de Tours ; Béatrice Hibou, directrice de recherche au CNRS ; Mohamed Tozy, professeur à Sciences Po Aix ; Vincent Geronimi, maître de conférences HDR, Université de Versailles, St-Quentin-en-Yvelines ; Michel Samuel, maître de conférences retraité, Université Paris-8 ; Eric Léonard, directeur de recherche à l’IRD ; Géraud Magrin, professeur à l’Université Paris-1 Panthéon-Sorbonne ; Philippe Lavigne Delville, directeur de recherche à l’IRD, président de l’APAD ; Emilie Guitard, directrice adjointe de l’IFRA Nigeria ; Danièle Kintz, anthropologue ; Françoise Blum, ingénieure de recherche au CNRS ; Elisabeth Hofmann, MCF, Université Bordeaux-Montaigne ; Kalliopi Ango Ela, ancienne sénatrice représentant les Français établis hors de France, directrice de la Fondation Paul Ango Ela de géopolitique en Afrique centrale, à Yaoundé, au Cameroun ; Oumy Thiongane, chercheure associée à l’Université Dalhousie (Canada) et à l’IRD ; Jean-Frédéric de Hasque, anthropologiste, réalisateur, chargé de recherche FNRS Fund for Scientific Research, Fellow of African Studie Center Leiden, Laboratoire d’anthropologie prospective ; Marie Laure Geoffray, maîtresse de conférences à l’Institut des hautes études de l’Amérique latine Sorbonne-Nouvelle ; Catharine Mason, maîtresse de conférences à l’Université de Caen Normandie ; Véronique Laurens, maîtresse de conférences à l’Université Sorbonne-Nouvelle Paris-3 ; José Aguilar, maître de conférences à l’Université Sorbonne-Nouvelle Paris-3 ; Pascale Trevisiol, maître de conférences à l’Université Sorbonne-Nouvelle Paris-3 ; Sophie Chave-Dartoen, maîtresse de conférences HDR à l’Université de Bordeaux ; Maria Teixeira, maîtresse de conférences à l’Université Paris-Diderot ; Laure Carbonnel, chercheuse postdoctorante, IHA/Crepos ; Marie-Luce Gelard, maîtresse de conférences HDR à l’Université Paris-Descartes/IUF ; Cristelle Cavalla, professeure à l’Université Sorbonne-Nouvelle Paris-3 ; Virginie Allaneau Rajaud, PRAG, Université Sorbonne-Nouvelle Paris-3 ; Estienne Rodary, chargé de recherche HDR à l’IRD ; Sabine Planel, chargée de recherche à l’IRD.