Dessus-de-porte, dans une des salles du musée de Port-Royal, représentant le domaine avant la destruction de l’abbaye au début du XVIIIe siècle, probablement inspiré d’une gravure de l’époque. / L. JEDWAB/« LE MONDE »

Au XVIIe siècle, une abbaye renommée se dressait sur le domaine de Port-Royal, tout proche de Versailles, avant que Louis XIV ne s’acharne sur ses religieuses, adeptes d’un certain Cornelius Jansen, adversaire des tout-puissants jésuites et condamné par Rome. L’abbaye, détruite sur l’injonction du souverain, le domaine sera démembré. Il ne sera finalement reconstitué qu’en 2004 – et appartient aujourd’hui à l’Etat. Avec ses allées plantées de tilleuls au XIXe siècle, son pigeonnier médiéval, son ancien moulin, ses bâtiments, ses espaces agricoles et ses points de vue paysagers, le domaine imprègne le visiteur de l’esprit particulier qui a animé ces lieux.

L’étang, dont les abords ont été récemment réaménagés, et dont le charme agit immédiatement sur le promeneur. / L. JEDWAB/« LE MONDE »

L’esprit des intransigeantes, mais modestes et charitables religieuses, d’abord. Puis celui de « grands » de la Cour, réchappés pour certains de cette guerre civile que fut la Fronde, et venus se retirer du monde. Dans cette « thébaïde », la rédemption passait par la retraite spirituelle et l’accomplissement de travaux manuels comme le drainage et les travaux des champs ou l’enseignement. Autres « esprits » à avoir fréquenté Port-Royal : Blaise Pascal, mathématicien, parieur et croyant, concepteur du mécanisme du puits que l’on peut encore voir, restauré, dans la cour de la ferme. Et Jean Racine, l’auteur d’Andromaque, qui y a été inhumé en 1699, avant que le cimetière de l’abbaye lui-même ne soit vidé brutalement des restes de ses occupants, en 1711.

Le vivier, dont la forme actuelle, en croix, date seulement du XIXe siècle. / L. JEDWAB/« LE MONDE »

Le domaine est séparé entre une partie haute, constituée de bâtiments du XVIIe siècle, d’une construction plus tardive abritant aujourd’hui un musée et du verger, et le site des ruines lui-même, en contrebas. On y a construit au XIXe siècle un oratoire, récemment restauré, et donné au vivier la forme d’une... croix. Pour relier les deux parties : les Cent Marches, un escalier que l’on imagine avoir été emprunté par les « solitaires » en retraite, les religieuses ou le peintre Philippe de Champaigne, qui a immortalisé celles-ci. Un paysage « habité », donc, malgré la disparition de l’abbaye elle-même, et dont les ruines, reconstituées, ont entretenu le souvenir.

L’impressionnant pigeonnier, contemporain de l’abbaye d’origine, date du XIIIe siècle. / L. JEDWAB/« LE MONDE »

Si la méditation dans les ruines a longtemps été avant tout spirituelle, elle prend aujourd’hui, largement dégagée de ses implications religieuses, une dimension plus esthétique. Un peu à la manière des impressions ressenties par les voyageurs du Grand Tour découvrant la Grèce ou l’Italie à l’âge romantique. Les aménagements paysagers, qui mettent en valeur le vivier, l’étang et ses abords, le moulin ou le verger des « solitaires », menés par l’actuel directeur, Philippe Luez, contribuent à faire éprouver cette sensation au visiteur. Un potager et des rûches pédagogiques rappellent le rôle nourricier originel du jardin d’abbaye. La présence des abeilles pollinisatrices contribue activement au cycle productif des arbres fruitiers, dans une « allégorie » que n’aurait pas reniée les sœurs industrieuses de Port-Royal, contemporaines d’un Grand Siècle courtisan, intolérant et guerrier.

Les fruits du verger, convoités par leurs prédateurs naturels – oiseaux ou insectes –, sont ensachés, une technique simple et... écologique. / L. JEDWAB/« LE MONDE »

Une exposition, « Sébastien Bourdon, peintre protestant ? », centrée autour de sept exceptionnelles planches gravées, occupe actuellement plusieurs salles du musée (jusqu’au 16 décembre). Les jardins, le potager et le verger sont entretenus par des associations, qui font également des démonstrations de taille. Renseignements pratiques : port-royal-des-champs.eu