Dans les allées du Salon du livre et de la presse jeunesse de Montreuil (Seine-Saint-Denis), grand rendez-vous de la littérature pour les enfants qui se tient du 28 novembre au 3 décembre, les romans pour adolescents et jeunes adultes se taillent une place de choix. L’année a été marquée par de nombreuses sorties de qualité, dans des registres aussi divers que la littérature d’anticipation ou le roman historique. Voici notre sélection.

SARBACANE / TALENTS HAUTS / GALLIMARD

  • « Héros » : un « Stranger Things » à la française

Benoît Minville est de cette génération d’auteurs qui syncrétisent sans complexe les classiques de la littérature française, la culture américaine et le cinéma pop corn qui a bercé leur enfance. Sa série Héros, dont le premier tome est sorti début octobre, en est la preuve : les premières pages de cette aventure fantastique vécue par une bande d’ados rappellent les Goonies, ou la récente série Stranger Things de Netflix.

Mais pas de banlieues proprettes américaines ou de petites villes embrumées du Maine chères à Stephen King ici. A l’image de son polar Rural Noir (Gallimard, 2016), le romancier et libraire aux bras tatoués fait naître son intrigue dans une petite ville de province française, au pied du Morvan. Le premier danger pour Matéo, José et Richard, trio de copains d’enfance mal assortis, c’est d’abord l’ennui. Ils le trompent avec délectation grâce à leur passion : Héros, une BD légendaire créée il y a plus de quatre-vingts ans mais toujours ultra-populaire. Ils se planquent même régulièrement dans un édifice abandonné pour tenter de créer leur propre série dérivée de cet univers qui les fascine tant.

Très vite, la fiction et la réalité vont s’entrechoquer quand les trois garçons vont être confrontés à des phénomènes étranges. Si les emprunts de Minville installent confortablement les amateurs de pop culture des années 1980-1990 dans un univers familier, le récit reste pour autant frais – et juste – sur l’adolescence et l’amitié.

Héros, tome I, de Benoît Minville, éditions Sarbacane, 440 pages, 17 euros.

  • « Le Ruban rouge » : la beauté au cœur du chaos

Parmi les nombreux romans historiques young adult parus ces derniers mois, Le Ruban rouge s’intéresse à l’un des thèmes récurrents de la littérature adolescente : la Shoah. La romancière britannique et historienne du costume Lucy Adlington raconte le quotidien du camp d’Auschwitz-Birkenau aux alentours de 1944-1945 à travers les yeux d’Ella, adolescente juive de 14 ans qui intègre un atelier de couture où des détenues sont triées sur le volet pour confectionner les garde-robes de leurs geôlières nazies et des femmes d’officiers.

Une planche de salut pour l’adolescente passionnée par la couture, qui lui rappelle sa vie d’avant qu’elle ne soit arrachée à ses grands-parents. La délicatesse des étoffes, l’application des couturières, et l’émulation qui règne dans cet atelier tranche considérablement avec la barbarie du camp que la jeune fille surmonte grâce à quelques amitiés. Ainsi, l’adolescente devra apprendre à s’affirmer, à survivre et tenter de se construire un futur pourtant impossible à imaginer par-delà les barbelés. L’auteure s’exprime dans une note complémentaire en fin d’ouvrage :

« Chacune des filles du Ruban rouge met en lumière les différents choix moraux pour survivre. Ce sont les choix que nous faisons tous, à un autre niveau, dans la vie de tous les jours comme dans les situations extrêmes. »

Si Lucy Adlington a choisi de recourir autant que possible à la fiction dans son récit – Auschwitz n’est pas nommé comme tel dans le roman, la mention du judaïsme revient rarement –, la romancière a conservé au plus près la véracité, la violence et la souffrance de la vie quotidienne dans le camp, tout en offrant un récit fougueux et optimiste à hauteur d’adolescent.

Le Ruban rouge, de Lucy Adlington, traduit par Catherine Nabokov, éditions PKJ, 336 pages, 16,90 euros.

  • « Le Renard et la couronne » : épopée féministe

Fin du XIXsiècle. Dans une épopée qui mène de l’empire austro-hongrois à la France, Yann Fastier raconte le destin d’Ana, petite orpheline aux origines troubles recueillie d’abord par une bande d’enfants des rues puis adoptée par un naturaliste français. Devenue dix ans plus tard une jeune femme éduquée et libre, celle-ci se retrouve bien malgré elle prise au cœur d’une conspiration et de querelles de pouvoir qui la dépassent, mais dont elle seule détient la clé.

A la manière des feuilletons et romans populaires, Yann Fastier s’amuse des codes et de la langue de l’époque pour offrir un récit moderne et féministe dans un écrin historique où les femmes sont des guerrières et des tacticiennes hors pair, et les petites gens, lancées à l’abordage du pouvoir. De cette prose dense mais belle et facile à lire et ses péripéties enlevées, naît un magnifique récit d’aventures.

Le Renard et la couronne, de Yann Fastier, éditions Talents hauts, 544 pages, 16 euros.

  • « La Mémoire des couleurs » : le goût de la liberté

Il s’appelle Mauve et a une quinzaine d’années. C’est à peu près tout ce que l’on sait du héros amnésique et télépathe de La Mémoire des couleurs lorsque celui-ci atterrit mystérieusement dans l’arrière-salle d’une brocante. Rien ne lui paraît familier ici-bas et le comportement effacé et craintif de l’adolescent paraît pour le moins étrange à ceux qui croisent sa route : fait-il partie d’une secte, d’une autre époque ou d’un autre monde ? Il semble en tout cas avoir grandi dans une société aseptisée où la personnalité, le plaisir, l’altérité et le libre arbitre sont savamment étouffés.

A mesure qu’il va tenter de rassembler les pièces de son histoire, Mauve apprend à trouver sa place dans l’humanité avec ses faiblesses, ses joies, ses aspérités. Pour autant, il n’est pas froid ni éloigné : en confrontant directement le lecteur aux sentiments, doutes et premières sensations d’un héros formaté, Stéphane Michaka offre une nouvelle lecture du registre maintes fois exploité de la quête d’identité et de l’émancipation adolescente, avec en toile de fond une discussion sur l’utopie. Un riche et beau roman d’anticipation sur l’humanité.

La Mémoire des couleurs, de Stéphane Michaka, éditions PKJ, 432 pages, 17,90 euros.

  • « Le Jazz de la vie » : Zazous de toutes générations

Victime de harcèlement scolaire, Steffi, jeune suédoise d’origine cubaine, se réfugie dans sa passion : le jazz et la basse. Mais sa rencontre incongrue avec Alvar, pensionnaire d’une maison de retraite, va l’extirper de son mutisme et de son isolement. Il faut dire que l’ancien en connaît un rayon niveau swing. Bien plus qu’un zazou nostalgique, Alvar « P’tit gars » Svensson est l’un des jazzmen les plus réputés de Suède. Un peu oublié mais jamais égalé, le musicien retombe en jeunesse, partage ses souvenirs des clubs de Stockholm et de la guerre, mais aussi son savoir avec Steffi, qui va peu à peu prendre confiance en elle.

Ado solitaire et passionnée élevée dans une famille aimante, on croit reconnaître beaucoup de Steffi dans celle qui lui a donné vie, la romancière suédoise réputée pour ses polars Sara Lövestam. Le point de départ de cet opus aurait pu paraître mièvre de prime abord. Mais les flash-back sans blues, les personnages hors des archétypes et une fin optimiste où tout n’est cependant pas résolu comme par magie offrent un récit tranche de vie nuancé et rythmé.

Le Jazz de la vie, de Sara Lövestam, traduit par Esther Sermage, éditions Gallimard, 336 pages, 17,5 euros.