Le 4e Prix Pierre Daix a été attribué lundi 3 décembre à Pérégrinations. Paysages entre nature et histoire, de l’historien de l’art Pierre Wat. Ce prix, créé par l’homme d’affaires et collectionneur François Pinault, distingue, chaque année depuis 2015, un ouvrage consacré à l’histoire de l’art moderne et contemporaine. Le jury, contitué de onze personnalités et présidé par Jean-Jacques Aillagon, salue « un essai novateur sur la question du paysage en peinture », mais aussi « une singulière montée en émotion au fil de la lecture, un ouvrage habité, un vrai talent romanesque », qui raconte « un paysage devenu le lieu de l’histoire et de sa tragédie ».

A l’occasion de cette récompense, nous republions la critique du livre parue en décembre 2017 dans Le Monde des livres :

Explorer le temps du paysage

Couverture du livre « Pérégrinations » de Pierre Wat.

Dans « Pérégrinations », l’historien d’art Pierre Wat renouvelle le regard sur le paysage en revisitant les œuvres d’hier à la lumière de celles d’aujourd’hui.

Qu’est-ce qu’un paysage ? Le produit changeant d’une suite – brève ou longue – d’histoires, les unes visibles, les autres en voie d’effacement ou d’enfouissement, d’autres encore désormais invisibles. Ces histoires sont, pour partie, naturelles : géologie et érosion dont les actions durent depuis des dizaines ou des centaines de milliers d’années, longues périodes glaciaires et éruptions volcaniques. Ces histoires sont, pour partie, humaines : traces de villes et de voies disparues, champs de bataille redevenus prairies, cimetières dissimulés sous les arbres. Observer un paysage, le dessiner, le peindre ou le photographier, c’est donc le comprendre bien au-delà de son apparence immédiate et, pour un artiste, trouver comment suggérer ce qu’il est en vérité : du temps sédimenté.

Ce n’est donc pas, contrairement à ce que l’on croit d’ordinaire, le plus simple des sujets, mais, à l’inverse, l’un des plus denses et cryptés. Cette juste hypothèse en tête, Pierre Wat reconsidère l’histoire du paysage dans l’art occidental des débuts du XIXe siècle à aujourd’hui. Que ce connaisseur renommé de Turner, Constable et Friedrich commence ses Pérégrinations – c’est le titre de son ouvrage – du côté du romantisme, rien de surprenant à cela. Mais les thématiques et questions qu’il dégage des vues de la campagne anglaise ou des forêts allemandes, il en suit les cheminements deux siècles durant et c’est en cela que son livre est remarquable. Il va bien au-delà de la recherche de filiations ou de réminiscences qui relieraient les artistes contemporains à ceux d’autrefois, manière classique de faire de l’histoire de l’art. Les corrélations qu’il fait apparaître sont, si l’on peut dire, rétroactives.

Regarder La Mer de glace, de Friedrich (1823-1824), en se souvenant d’une image prise par Susan Meiselas dans un charnier au Nicaragua en 1978, c’est voir dans le Friedrich tout autre chose que du pittoresque nordique. Mettre en vis-à-vis Un enterrement à Ornans, de Courbet (1849-1850), avec l’une des photographies de cratères d’explosion de Sophie Ristelhueber, c’est rendre au peintre, si célèbre qu’on le regarde trop vite, son intensité tragique et traiter Ristelhueber comme elle doit l’être : une artiste majeure. Aussi est-elle l’une des grands protagonistes de la réflexion de Wat. Gerhard Richter, Roberto Frankenberg, Alexis Cordesse et Pascal Convert en sont d’autres du côté de l’art actuel. Et Georgia O’Keeffe, Paul Nash, Otto Dix du côté des modernes de la première moitié du XXe siècle.

L’attention portée à des artistes encore peu connus, tel Emeric Lhuisset, va de pair avec celle qui est accordée à des peintres d’autrefois dont la notoriété devrait être plus vaste, Thomas Cole ou Pierre-Henri de Valenciennes. Il faut suivre les pas de Wat. Philippe Dagen

Pérégrinations. Paysages entre nature et histoire, de Pierre Wat, Hazan, 264 p., 99 €