Dans la mine de charbon de Wujek, à Katowice (Pologne), le 29 novembre. / Kuba Kaminski pour Le Monde

La conférence des Nations unies sur le climat (COP24) a aussi ses gilets fluo, portés par les volontaires déployés aux abords du Spodek, la salle omnisports de Katowice, transformée en centre de conférences pour les besoins de l’événement. Plus fondamentalement, l’ouverture protocolaire des négociations, lundi 3 décembre, dans la métropole silésienne dont l’histoire se confond avec celle de l’exploitation minière en Pologne, a donné lieu à une initiative que ne renierait sans doute pas le mouvement des « gilets jaunes ».

Invité à s’exprimer devant l’assemblée des 196 Etats liés par l’accord de Paris, le président polonais, Andrzej Duda, a insisté sur l’importance du consensus social comme condition de la réussite des politiques environnementales. La Pologne, qui supervise pour un an les travaux de la COP (succédant aux îles Fidji) a proposé aux chefs d’Etat et de gouvernement réunis à Katowice de soutenir un texte rédigé par ses soins : la « déclaration de Silésie pour la solidarité et la transition juste ».

« Nous ne pouvons pas mettre en œuvre des politiques climatiques contraires à la volonté de la société et au détriment des conditions de vie, a affirmé le dirigeant du PiS. Ce matin, en me préparant pour la COP, j’ai allumé la télévision, j’ai vu ces images dans les rues de Paris, j’ai entendu ces gens ordinaires qui ne sentent pas pris en compte », a confié par la suite M. Duda au Monde, proposant à Emmanuel Macron de « se référer à la déclaration de la transition juste, un modus operandi » pour trouver le bon équilibre entre économie bas carbone, création d’emplois et qualité de vie.

Lundi soir, près de 40 pays avaient rejoint cet appel à la transition juste, selon un premier décompte de la présidence de la COP24. Mais nombre d’observateurs des négociations doutent de la volonté réelle du pays hôte d’engager le virage de la décarbonation de son économie. Et pour cause, la Pologne reste l’un des pays d’Europe les plus dépendants du minerai, et pas seulement Katowice, enveloppée dans un voile de pollution diffusant une odeur âcre.

Une démarche non sincère

Près de 80 % de l’énergie électrique polonaise est produite à partir de charbon. Cette part ne pourra être réduite qu’à 60 % en 2030 et ne devrait chuter réellement qu’avec la mise en route hypothétique à partir de 2033 de six centrales nucléaires, au rythme de deux par an. Présentée dix jours avant la COP, cette politique énergétique inclutaussi la construction de la plus grosse centrale à charbon jamais construite en Pologne (1 GW), à Ostroleka, dans l’est.

C’est donc naturellement vers les entreprises de ce secteur très émetteur de gaz à effet de serre que les organisateurs se sont tournés pour financer la 24e conférence sur le changement climatique ! Le tour de tables des sponsors de la COP24 comprend, entre autres, PGE, le premier énergéticien polonais, dont les centrales électriques figurent parmi les plus polluantes d’Europe, et JSW, l’un des principaux groupes charbonniers de Pologne, avec ses quatre mines et ses projets d’expansion, selon le recensement de Corporate Accountability, une ONG dénonçant le lobbying des industries fossiles dans la sphère climatique.

Selon Izabela Zygmunt, spécialiste climat au sein de l’ONG CEE Bankwatch, la démarche du président Duda n’est pas sincère. « L’analyse des cas de l’Allemagne, de l’Afrique du Sud ou de l’Australie permet d’identifier les composantes principales d’un processus de transition juste. La transition doit être progressive et précédée d’un large dialogue social impliquant toutes les communautés intéressées, les citoyens, les ONG et les gouvernements locaux, ainsi que les entreprises d’énergies renouvelables qui seraient obligées de créer de nouveaux emplois, détaille Izabela Zygmunt. Or, M. Duda n’a jamais appelé à ce dialogue. »

« On ne peut pas aller de l’avant sans stratégie claire, et dans le cas polonais, sans une date de fin de l’exploitation du charbon », poursuit l’experte. Or, là encore, le pays hôte de la COP cultive une ambiguïté teintée de provocation lorsque son président se plaît à revêtir un costume de mineur avant d’accueillir Antonio Guterres, le secrétaire général des Nations unies, ou se félicite à la tribune de l’assemblée de disposer de « 200 ans de ressources en charbon ».

Si l’on veut engager la transition du secteur du charbon, « il est irresponsable de tenir de tels propos, reconnaît Anabella Rosemberg, la directrice du programme international de Greenpeace. Jusqu’à présent, la Pologne n’a pas donné les gages de son ambition ». Mais cette figure des négociations climatiques, qui a participé, au sein du mouvement syndical international, à l’émergence du concept de transition juste, demeure attachée à ce principe. « L’idée est apparue dans les conférences climat avant Copenhague [2009], portée à l’époque par les mouvements syndicaux, les pays du Sud et plusieurs gouvernements d’Amérique latine ou de l’Union européenne. »

Le concept prend forme en 2015 dans le préambule de l’accord de Paris, qui mentionne les « impératifs d’une transition juste pour la population active et la création d’emplois décents et de qualité ». En reprenant l’idée à son compte, la présidence de la COP24 réussit un coup diplomatique. « Dans le contexte de l’ONU, il est important que les pays disent que la transition écologique doit être une transition sociale. L’étape suivante, bien sûr, ce sera de passer de la parole aux actes », analyse Anabella Rosemberg.

En la matière, la France des gilets jaunes constitue un contre-exemple, dans lequel l’Etat n’a pas réussi la synthèse entre la portée environnementale et la portée sociale d’une décision gouvernementale. « La taxe carbone s’est ajoutée à un système fiscal terriblement inégalitaire. La transition juste, ce n’est certainement pas de faire payer les citoyens les plus modestes, mais plutôt de faire participer les entreprises les plus émettrices de gaz à effet de serre », juge la responsable de Greenpeace.

Dans les couloirs du Spodek de Katowice où se croisent les équipes de négociations, la déclaration de la présidence polonaise suscite des réactions mitigées. « Il ne doit pas seulement s’agir d’une transition juste pour les travailleurs, les régions et les économies touchés par la transition de l’énergie sale à l’énergie propre, mais d’une transition juste, une transition pour tout le monde, en particulier pour les plus vulnérables au climat », s’interroge ainsi Frank Bainimarama, le premier ministre des Fidji.

Au pays du charbon, déclin et renaissance de Katowice