Blocage du lycée Victor Hugo, à deux pas de la gare Saint Charles à Marseille, le 3 décembre. / FRANCE KEYSER / M.Y.O.P POUR " LE MONDE"

En attendant de confectionner de « vraies banderoles » pour dénoncer la réforme du baccalauréat et Parcoursup, les lycéens ont collé quatre feuilles de papier blanc sur la porte du lycée Victor-Hugo, à deux pas de la gare Saint-Charles à Marseille. Dessus, ils ont écrit « On en a marre ». Le même slogan qui, ces temps-ci, fleurit sur les gilets jaunes des retraités postés aux barrages routiers. Les plus courageux se sont levés à six heures du matin pour mettre en place le « blocus total » de leur établissement. Barrières, conteneurs à poubelles, panneaux de signalisation, matelas… la barricade montée devant la grille d’entrée est un bric-à-brac formé avec ce qu’ils ont trouvé aux abords du lycée.

Téléphone à la main et gilet jaune fluo sur le dos, Fanny organise ce qui ressemble à une joyeuse fête de lycéens. L’un d’eux a apporté un système de sonorisation. Au milieu d’un cercle d’élèves, on improvise des pas de danse sur les morceaux de rap. Quand une caméra filme, quelques-uns se juchent sur la « barricade », le poing levé. Dans cet établissement prévu pour 800 élèves et qui en accueille 1 250, 85 % des familles sont bénéficiaires d’une bourse. En classe de seconde, le taux d’élèves ayant redoublé au collège est beaucoup plus important qu’ailleurs. Victor-Hugo est en plein centre de Marseille mais la carte scolaire fait qu’il draine les élèves des quartiers Nord, les plus défavorisés, et ceux du 3e arrondissement où plus de la moitié des ménages vit sous le seuil de pauvreté.

Manque de mixité

Plus qu’ailleurs, les réformes du second cycle préoccupent des jeunes qui se sentent déjà discriminés et redoutent une plus forte sélection du fait des réformes en cours. « Quand on sort d’ici, on a une étiquette collée sur le front, on est catalogué comme lycée défavorisé », relève Céline : « Tout le monde sait qu’un bac de Victor-Hugo vaut beaucoup moins qu’un bac de Thiers », l’un des établissements marseillais les plus cotés. « Ils sont en train de gâcher notre avenir », pense Rayan, 17 ans, en première L tandis que Sohieb, 16 ans s’inquiète : « Si on redouble, si y a plus de place en fac, on va faire quoi ? »

Son collègue lui donne une grande tape dans le dos en rigolant : « On retourne au bled. » Ici, les élèves viennent tous de collèges REP ou REP +, « mais on a sorti le lycée de la ZEP alors que la réalité sociale, elle est toujours bien là », fait observer un professeur de l’autre côté de la rue. Les élèves l’ont compris : « On est mélangé qu’entre personnes de quartiers difficiles », dit l’une. « Il faudrait de la mixité sociale, on veut qu’il y ait des Blancs », lance une autre.

Le « ras-le-bol » qui résume le mouvement des « gilets jaunes » fait écho chez ces jeunes gens. A l’image de Farid, 18 ans, en terminale sciences et technologies du management et de gestion (STMG) qui dit comprendre le mouvement né autour des taxes sur le carburant : « Ils en ont marre de se faire un peu trop taxer. On n’a pas taxé le kérosène des avions, alors que ça, ça concerne plutôt les riches qui prennent l’avion que les pauvres qui vont travailler avec leurs voitures. » Son camarade Atem n’adhère pas forcément car « l’essence, il faut en consommer moins. Ça ne part pas d’une mauvaise idée, mais ça a été mal expliqué ».

Pas question de provoquer des incidents

Les huit morts de la rue d’Aubagne dans l’effondrement d’immeubles ajoutent à la grogne de ces lycéens. Le 5 novembre, deux édifices vétustes du centre-ville de Marseille, aux 63 et 65, de cette voie du quartier populaire de Noailles, se sont brutalement effondrés, sur leurs occupants. Et leur établissement se situe aussi à quelques dizaines de mètres de la gare où chaque soir des associations distribuent repas et vêtements à une cohorte de jeunes migrants qui dorment dans la rue environnante. « Nous aussi on a des immeubles qui s’effondrent, explique Fanny. Et même le collège Versailles qui est sous l’autoroute à côté d’une déchetterie qui vient heureusement de fermer, ça fait quinze ans qu’ils doivent le reconstruire. »

Seuls les élèves de terminale s’avancent sur le terrain politique comme Daniel, en filière S : « Macron, il va à Buenos Aires, il revient et il provoque les gens. Il favorise les riches et met beaucoup de Français en désaccord. » Une jeune fille s’approche : « Dites bien que c’est parce qu’il n’y a pas de changement qu’il y a du chaos. » Mais pas question de provoquer des incidents. Assia pense qu’il faut surtout « éviter les débordements et les dérapages ». Céline surveille « les petits de seconde qui dérapent et veulent mettre le feu aux poubelles ou faire un autodafé des livres et des cahiers devant le lycée ».

En fin de journée, la décision est prise de mettre fin au blocage car des conseils de classe doivent se dérouler. « On veut pas mettre des bâtons dans les roues, on veut la réussite de tout le monde », justifie Fanny : « Ça passe par les conseils de classe, personne ne veut foutre le bordel. » Alors, on va cacher le bric-à-brac de la barricade un peu plus loin pour être sûr de le retrouver le lendemain avec la promesse d’un « blocus comme jamais vu à Victor-Hugo jusqu’à la fin de la semaine ».