Parmi les bacheliers 2013 inscrits en première année d’université, seulement 28 % ont obtenu leur diplôme de licence à l’issue des trois années de formation. / Plattform/Johnér / Photononstop

C’est une période à haut risque. Entre les vacances de la Toussaint et celles de Noël, de nombreux étudiants « décrochent », en particulier ceux qui entament leurs parcours à l’université. Ce phénomène est difficile à chiffrer, mais une statistique permet d’en mesurer l’importance : en 2016-2017, 28 % des étudiants inscrits en première année de licence ont quitté l’université en cours d’année, selon les derniers chiffres du ministère de l’enseignement supérieur.

Claire Polo, maîtresse de conférences en sciences de l’éducation à l’université Lumière Lyon-II et responsable d’un programme d’accompagnement des étudiants en difficulté, revient sur ce décrochage et les moyens de le prévenir.

En quoi les semaines avant Noël sont-elles importantes pour comprendre le phénomène de « décrochage » des études ?

C’est une période charnière, car c’est là qu’on observe les premiers décrochages. A Lyon-II, c’est à ce moment qu’on commence à comptabiliser administrativement les premiers départs. Certains étudiants ne reviennent pas après les vacances. D’autres décrochent petit à petit jusqu’aux examens, autre période charnière où se mesurent l’engagement et la motivation des étudiants.

Qu’est-ce qui se joue à cette période ?

Les étudiants prennent conscience des attendus et des critères de réussite à l’université, avec les devoirs de travaux dirigés (TD) à rendre, les examens qui approchent et les premières notes qui arrivent et peuvent être décevantes. Les vacances de Noël participent au décrochage, car les étudiants retournent dans leur famille. Souvent, la sociabilisation à l’université, notamment quand elle se situe loin de sa ville d’origine, n’a pas été facile, et ce n’est pas évident d’y retourner.

Vous êtes en cours d’analyse d’une enquête menée auprès de 1 500 étudiants sur la question du décrochage. Quelles sont les difficultés qui vous sont remontées ?

La principale difficulté, c’est de trouver sa place à l’université. C’est le cas notamment des bacheliers technologiques ou professionnels, à qui on a répété que l’université n’était pas pour eux. Ces jeunes viennent souvent de familles où les parents n’ont pas fait d’études, se sentent socialement à part. Cela se traduit par des problèmes de socialisation et d’apprentissage des codes, qui rendent difficile pour eux la projection dans le parcours universitaire. L’isolement est un fort facteur de décrochage, et ce pour les étudiants de tous milieux sociaux : des études montrent que les élèves qui travaillent en groupe sont plus à même de réussir leurs études, notamment dans des filières compliquées comme la médecine.

Beaucoup d’étudiants étrangers viennent aussi nous voir car ils ont du mal à s’adapter à l’université à la française. Certes, il y a des problèmes de langue, mais aussi, pour ceux qui parlent très bien le français, une difficulté à intégrer les normes universitaires françaises telles que la dissertation ou le commentaire de texte. Enfin, les conditions d’accueil sont primordiales dans la motivation et la place de l’étudiant. Dans les filières les plus en tensions, comme en sciences humaines, où les étudiants sont parfois quarante, voire plus, dans des TD, les plus en difficulté ont tendance à se noyer.

L’orientation joue aussi beaucoup…

A l’heure où les élèves sont sommés de plus en plus tôt de faire des choix par rapport à leur projet professionnel, les problématiques d’orientation ont un impact majeur sur le décrochage. Avec Parcoursup, nous observons l’arrivée de plus en plus d’étudiants qui ne sont pas dans la filière de leur premier choix. A Lyon-II, par exemple, un tiers des étudiants des différentes filières en sciences humaines et sociales ne sont pas dans leur premier choix, et un quart d’entre eux expriment l’envie de se réorienter.

Certains étudiants participent aux premiers cours de l’année mais sont en attente d’une réorientation, notamment vers des formations plus professionnalisantes, comme les BTS, où ils peuvent être recrutés sur le tard. Pour ceux qui n’ont pas de perspective de réorientation mais ne se sentent pas en phase avec leur formation, il est souvent difficile de s’accrocher.

Comment repérer et accompagner ces étudiants ?

Il est essentiel de travailler sur l’accompagnement et la méthodologie dès le premier semestre. Au sein de Lyon-II, nous avons mis en place le parcours Clefs (Créer, lire, écrire et faire de la science) qui propose un soutien à une quarantaine d’élèves en difficulté, que nous avons repérés par le biais d’un questionnaire. Nous travaillons avec eux divers aspects. La méthodologie, ou comment mieux appréhender le travail universitaire. La littératie, c’est-à-dire l’écriture et la lecture. L’esprit critique et scientifique, pour stimuler la curiosité et la motivation. Enfin, nous leur apportons un soutien émotionnel et une aide à la socialisation universitaire. Dans cette même veine, les programmes de tutorat peuvent être une solution, autant pour apprendre à traiter une grande charge de travail que ne pas se perdre physiquement sur le campus, particulièrement quand l’université est étalée sur plusieurs sites.