Le président de la République, Emmanuel Macron, sur les Champs Elysées, le 2  décembre. / Thibault Camus / AP

Quelles sont les conséquences politiques du mouvement des « gilets jaunes » ? Comment Emmanuel Macron et le gouvernement peuvent-ils se sortir de cette crise ? Les mesures annoncées par Edouard Philippe sont-elles suffisantes ?

Au lendemain des mesures dévoilées par le premier ministre pour tenter de calmer la colère des « gilets jaunes », l’éditorialiste politique du Monde Gérard Courtois a répondu aux questions des internautes.

Romanin : L’affaiblissement d’Emmanuel Macron semble être très profond, voire définitif, et se poursuit depuis l’affaire Benalla. la démission apparaît de plus en plus comme le seul moyen d’en terminer avec la crise. Pensez-vous que Jupiter lâchera l’Olympe ?

Gérard Courtois : Effectivement, Emmanuel Macron fait l’objet d’un rejet violent et spectaculaire. D’abord, il a concentré entre ses mains, plus encore que ses prédécesseurs, tout le pouvoir exécutif. Il est monté en première ligne lors de toutes les réformes engagées depuis son élection et a relégué le premier ministre, Edouard Philippe, et les ministres dans un rôle d’exécutants.

Il était donc inévitable qu’il concentre sur lui toute la colère qui s’exprime aujourd’hui et qui vise, bien au-delà des prix de l’essence, l’ensemble de la politique économique et sociale qu’il a engagée. Il paye notamment deux mesures prises dès l’été 2017 et qui sont devenues des marqueurs indélébiles du macronisme : la suppression partielle de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF), qui en a fait « le président des riches », et la baisse de cinq euros des aides au logement (APL) qui a été perçue comme une marque d’ignorance ou de mépris quant aux difficultés des Français modestes.

Enfin, il paye cash son attitude depuis dix-huit mois et ses petites phrases à l’emporte-pièce, qui ont peu à peu construit l’image d’un président arrogant et ignorant les difficultés de millions de Français.

Krakmat : De l’avis d’une grande majorité des « gilets jaunes », mais aussi des partis politiques (dont on peut, je crois, douter de l’influence chez les premiers), les mesures prises par le premier ministre hier semblent relever de l’affront, ou au moins d’une incompréhension profonde du mouvement par le gouvernement. Celui-ci est-il prêt à lâcher encore du lest dans les prochains jours, ou la stratégie d’apaisement s’arrête ici ?

Le problème du gouvernement (et cela a été le cas de la plupart des gouvernements confrontés à des crises similaires) est qu’il a gravement sous-estimé, il y a un mois, la nature du mouvement qui démarrait. Cette incompréhension, partagée, il faut bien le dire, par la plupart des responsables politiques, syndicaux et également par les médias, l’a conduit à sous-estimer la menace et à réagir systématiquement avec un ou deux temps de retard.

Ainsi, au lendemain du premier samedi de mobilisation, le 17 novembre, le premier ministre est intervenu à la télévision le dimanche soir pour rappeler, en une dizaine de minutes, que le cap de sa politique était bon. Et pour écarter d’un revers de main l’aide que lui proposait le secrétaire général de la CFDT, Laurent Berger. Au lendemain du deuxième samedi de manifestation, c’est le président de la République qui est intervenu à son tour : il a cherché à élargir le débat à l’ensemble de la question de la transition écologique et admis qu’un grand débat national sur le sujet était désormais salutaire, alors qu’il paraissait négligeable une semaine avant. Du coup, il n’a fait qu’attiser la colère de « gilets jaunes » toujours plus convaincus qu’il ne tenait pas compte de leurs difficultés, de leurs anxiétés de fin de mois et de leurs revendications.

Les décisions annoncées par Edouard Philippe, mardi, témoignent du même décalage : en annonçant un moratoire de six mois sur les augmentations de taxes sur l’essence, et en particulier sur le diesel, et le gel des prix de l’électricité et du gaz, il a donné le sentiment de répondre avec trois semaines de retard aux demandes qui avaient mis le feu le poudre. Inévitablement, bon nombre de « gilets jaunes » ont considéré que c’était trop peu (« des miettes, des cacahuètes ») et trop tard.

Peut-il sortir d’autres mesures de son chapeau ? Certainement pas dans l’immédiat, car tout le monde attend de savoir comment l’opinion va réagir à ces gestes qui se veulent d’apaisement et comment les « gilets jaunes » eux-mêmes vont se mobiliser samedi prochain pour une journée qui s’annonce hautement périlleuse. De nouvelles initiatives du pouvoir ne pourront être annoncées, le cas échéant, qu’après le week-end.

Guytou : Le modèle économique porté par notre président n’a-t-il pas atteint ses limites ? Notre président n’est-il pas le pur produit de ce modèle ?

Cette crise menace effectivement le président d’un véritable tête-à-queue. A la fois sur la stratégie et sur la méthode. Il a été élu il y a dix-huit mois sur la base d’une politique libérale, vigoureusement « proentreprises », convaincu que la relance de la croissance passait par là et que c’était la condition pour s’attaquer sérieusement au cancer du chômage.

Aujourd’hui, il est contraint sous la pression de prendre en compte des questions essentielles : celles de la justice et des inégalités sociales et fiscales. Il est difficile à ce stade de savoir jusqu’où il voudra aller, ou sera contraint d’aller, dans cette direction. Mais il est clair qu’elle est en contradiction avec toute la philosophie qui a présidé à son action jusqu’à présent.

De même sur la méthode, toute la crédibilité de sa stratégie politique reposait sur la mise en œuvre rapide, déterminée, voire implacable, de ses promesses de campagne. Cela a « marché » pendant un an : c’est comme cela qu’il a fait passer la réforme du droit du travail ou celle de la SNCF. Il s’est convaincu qu’il pouvait continuer ainsi. Il mesure aujourd’hui à quel point cette verticalité autoritaire heurte le pays, et il propose de faire exactement l’inverse dans les trois prochains mois : une vaste concertation avec tous les acteurs économiques et sociaux, non seulement sur la transition énergétique, mais également sur la politique fiscale et la question du pouvoir d’achat. Il est extrêmement peu probable que cette démarche soit perçue comme crédible tant elle est en contradiction avec celle qu’il a adoptée auparavant.

J-P : Avec ce rétropédalage relativement spectaculaire du gouvernement, quelles conséquences sur les futures réformes/mesures qui seront présentées ou votées ? Après avoir obtenu gain de cause, j’imagine qu’une partie de la population sent désormais qu’il est possible de faire flancher l’exécutif ?

C’est bien la raison pour laquelle le pouvoir ne voulait pas reculer. Il est très prématuré de tirer des plans sur la comète quant à la suite du quinquennat. Dans l’immédiat, on ne sait même pas comment le gouvernement et le président pourront sortir de l’impasse. Mais il est évident que ce recul peut donner des idées à tous ceux qui voudront s’opposer à des réformes programmées et potentiellement explosives, comme celles des retraites ou de l’assurance-chômage.

La seule solution pour le gouvernement serait que la grande phase de concertation qu’il a annoncée fasse la démonstration qu’il est réellement prêt à associer non seulement les corps intermédiaires, mais aussi les citoyens aux choix économiques et sociaux de demain.

MC 38 : Les responsables de la situation actuelle ne sont-ils pas les responsables politiques qui ne pensent qu’à prendre leur revanche de 2017 ?

Il est manifeste que tous les responsables politiques qui ont été balayés, voire ridiculisés, par Emmanuel Macron en 2017 n’ont pas digéré cette humiliation. Il y a dans leur animosité actuelle un goût évident de revanche.

Et c’est un sentiment qui est singulièrement dangereux : obsédés de vouloir renvoyer à Macron la monnaie de sa pièce, ils semblent bien peu soucieux de savoir dans quel vide politique la France pourrait se retrouver en cas d’effondrement du pouvoir actuel.

Comment envisagez vous la sortie de crise ? Le mouvement va-t-il se tasser à l’approche des fêtes ?

C’est un pari très hasardeux. Quand on voit l’évolution de ce mouvement en trois semaines et la manière dont, dès à présent, il place le pouvoir dos au mur, il est très aléatoire d’imaginer ce qu’il pourrait être dans trois semaines.

Dans l’immédiat, je ne le vois pas se tasser. Beaucoup dépendra de la façon dont va se passer le prochain week-end de mobilisation et de la perception qu’en auront les Français.

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