FRANCE Ô - MERCREDI 5 Décembre - 22H45. Documentaire

Le 12 janvier 2010, un tremblement de terre frappait Haïti, faisant plus de 250 000 morts. Près de neuf ans après, pour de nombreux enfants, la situation est alarmante : 3 000 à 4 000 croupissent dans les rues ; une dizaine de milliers vivent dans des orphelinats ; une autre dizaine de milliers travaillent comme esclaves chez des maîtres. En 2016, le journaliste Daniel Grandclément avait dénoncé leur sort dans un documentaire, Les Enfants du port. Sélectionné au Figra, le Festival international du grand reportage d’actualité, il avait reçu le grand prix 2017 du concours « Enfance majuscule ». Cette année, il est retourné à Port-au-Prince pour retrouver deux enfants des rues qu’il avait filmés lors de son premier voyage.

Le premier, dénommé Idsom, un unijambiste auquel il avait acheté une prothèse, ne traîne plus du côté du port. Il est rentré chez sa mère à Piste, un village où vivent de nombreux handicapés. Il n’a plus sa jambe en plastique, ce qui ne l’empêche pas de jouer au foot à l’aide d’une béquille.

Le second, Richie, un infirme pour lequel il avait trouvé un fauteuil roulant, demeure introuvable. Après plusieurs jours de recherche, le journaliste apprend qu’il a été abattu par un policier à qui il avait tenté de voler son portefeuille. Cette mort le pousse à mener une enquête, dont chaque étape va le confronter aux strates de la misère haïtienne.

L’enquête le conduit d’abord dans un cimetière, où il interroge les fossoyeurs qui retrouvent chaque jour des cadavres d’enfants au fond des poubelles. Ces corps sont inhumés dans des cercueils en carton qui sont ensuite placés dans des caveaux déjà occupés.

Contradictions d’un pays

Nulle fascination morbide ici : les corps des morts sont floutés. Il s’agit de comprendre comment le tremblement de terre, en provoquant une pénurie de places dans les cimetières, a transformé les pratiques funéraires et instauré un business de location des tombes.

L’un des fossoyeurs lui apprend que, chaque jour, des cadavres sont aussi récupérés en prison. ­Devant le pénitencier, où est incarcéré un ami de Richie, le journaliste filme une foule apportant de la nourriture aux prisonniers qui y meurent de malnutrition. 4 000 détenus s’entassent derrière les barreaux de ce pénitencier d’une capacité de 700 places. Dans les hauteurs de la ville, le réalisateur interroge ensuite une maîtresse qui exploite un enfant abandonné, au pied bot : Judley, 7 ans.

C’est ce contraste violent entre paysages magnifiques et misère qui rend aussi ce documentaire bouleversant

Cette progression douloureuse ne se résume pas pour autant à une descente aux enfers. Alternant scènes filmées de jour et de nuit, en ville ou en bord de mer, il nous montre les contradictions propres à l’île. Dans une rue sombre, une fille de 13 ans lui raconte qu’elle se prostitue depuis l’âge de 8 ans. Il y retourne le lendemain : la rue est décorée de tableaux colorés peints par des artistes. C’est ce contraste violent entre paysages magnifiques et misère qui rend aussi ce documentaire bouleversant.

Loin de basculer dans le misérabilisme, ce reportage sur le dénuement dans l’après-séisme donne la parole à ces enfants qui demandent tous à ce qu’on les sorte de la rue, mais aussi à ces mères dignes qui se battent avec le peu qu’elles ont pour eux et à ces ONG qui tentent de leur apporter des solutions. De leurs ­témoignages perce une lumière, celle de l’espoir.

Les Enfants perdus d’Haïti, de Daniel Grandclément (Fr, 2018, 105 min). www.france.tv/france-o/