Khalida Popal, l’une des joueuses afghanes ayant fondé l’équipe nationale féminine, à l’origine des révélations, ici le 30 mars 2018 à Londres. / DANIEL LEAL-OLIVAS / AFP

L’équipe féminine de football d’Afghanistan devait être un symbole de modernisation du pays après la chute des talibans. Les joueuses s’entraînent dans le stade Ghazi où ils procédaient aux exécutions. Elle est rattrapée par les pires pratiques : le viol et le harcèlement des footballeuses par des responsables de la fédération, et les menaces pour les faire taire.

C’est le Guardian qui a révélé l’affaire vendredi 30 novembre. Le sujet prenant de l’ampleur, le président Ashraf Ghani a dû réagir. « C’est choquant pour tous les Afghans. Toute forme d’inconduite contre des athlètes, hommes ou femmes, est inacceptable. Je ne tolère aucune violence sexuelle », a-t-il dit mardi 4 décembre.

Le quotidien britannique s’est appuyé sur le travail d’investigation de Khalida Popal, une des joueuses qui ont créé l’équipe, officiellement reconnue en 2007, alors que ce sport était auparavant réservé aux hommes. Elle en était capitaine jusqu’à ce que les menaces de mort contre elle et sa famille la contraignent à fuir le pays pour se réfugier au Danemark, en 2012. Mme Popal a conservé un rôle à distance avec ses anciennes coéquipières, notamment dans l’organisation de stages d’entraînement avec des formations étrangères.

Lors d’un de ces déplacements, en Jordanie, en février, deux hommes chargés d’accompagner les joueuses, sous le titre de « chef de l’équipe » et « assistant entraîneur », auraient contraint au moins cinq d’entre elles à avoir des rapports sexuels avec eux, les forçant physiquement et leur promettant de les inclure dans la sélection et de les payer.

Un « système » institué

Mme Popal, qui était sur place, dit avoir appelé le président de la fédération, Keramuudin Karim, qui a promis que les deux hommes en question seraient punis. Mais de retour à Kaboul, ils ont été promus à d’autres responsabilités au sein de la fédération, tandis que neuf joueuses étaient suspendues de l’équipe, accusées d’être lesbiennes. L’une a été frappée avec une queue de billard. Des faits que l’entraîneuse, l’Américaine Kelly Lindsey, allait confirmer. La fédération afghane de football soutient désormais que les neuf ont été suspendues pour avoir refusé de porter le hijab en Jordanie.

Après l’épisode jordanien, Mme Popal allait mener sa propre enquête et soutient aujourd’hui que M. Karim, un homme d’influence, ancien gouverneur de la province du Panchir et ex-chef de cabinet du ministre de la défense, a lui-même agressé sexuellement et menacé des joueuses. Elle l’accuse de disposer d’une chambre spéciale, à côté de son bureau, pour agresser les femmes. « C’est lui qui a institué ce système », dit-elle par téléphone depuis le Danemark.

La capitaine de l’équipe, Shabnam Mobarez, qui appuie ces allégations, a refusé de signer un nouveau contrat qui restreignait les possibilités de recours en cas de procédure disciplinaire – un moyen d’imposer aux joueuses de se taire, sous peine d’être exclues.

« J’ai la moitié du pays contre moi »

Le secrétaire général de la fédération, Sayed Alireza Aqazada, a démenti les faits devant la presse. « L’histoire n’est pas vraie, a-t-il déclaré. Aucun harcèlement sexuel n’a été commis contre aucune joueuse de football. » Comme s’il conditionnait le maintien de l’équipe à l’absence de remous, il a ajouté : « Il serait aisé pour nous d’annuler ou de supprimer l’équipe féminine de football du fait de la présence des talibans et des mollahs, mais nous ne voulons pas revenir en arrière, nous soutenons l’équipe féminine de football. »

Le président du Comité olympique afghan, Hafizullah Rahimi, a semblé confirmer les faits. « Malheureusement, ce type d’affaires nous est remonté, a-t-il déclaré à la presse locale. Les agressions sexuelles existent, pas juste dans la fédération de football, mais dans d’autres fédérations sportives également. Nous devons les combattre. » L’équipementier sportif Hummel a suspendu son partenariat avec la fédération.

La FIFA a ouvert sa propre enquête. « Elle doit cesser de collaborer avec ces gens, ils n’auront plus accès aux joueuses », dit Khalida Popal par téléphone depuis le Danemark. Certaines joueuses ont reçu des menaces de mort depuis que le scandale a éclaté. « J’ai la moitié du pays contre moi, m’accusant de détruire le football afghan, alors que j’ai passé ma vie entière à soutenir le football féminin. Mais je veux du changement. Je veux un environnement sûr pour les joueuses », déclare Mme Popal.